LITTÉRATURE: Louis-Philippe Hébert, homme à chapeaux

Louis-Philippe Hébert, photo: Diane Paquin

Nouvelliste, romancier, poète, professeur, dramaturge, éditeur, entre autres choses, Louis-Philippe Hébert a écrit beaucoup. Plusieurs prix et une trentaine de livres en 50 ans dans une dizaine de maisons d’édition, dont la sienne, La Grenouillère. Il parle aussi beaucoup. Le lire et l’écouter, c’est le même plaisir, celui des mots, du langage qui s’emballe et d’une bonne histoire à raconter.

Baudelaire et Poe l’ont marqué au collège. Jacques Benoit, Michel Tremblay, Roch Carrier, Hubert Aquin et Paul-Marie Lapointe l’ont guidé. Les autrices.teurs qu’il publie maintenant lui donnent du pur bonheur. Les 50 ans d’écriture/lecture de Louis-Philippe Hébert ont été et restent une partie de plaisir.

« Je n’écris pas sans plaisir. Même quand j’écris quelque chose de sombre, comme dans Petit-Chagrin, je le fais avec plaisir. Celui de l’action d’écrire. Pour moi, un écrivain c’est quelqu’un qui écrit. Il peut écrire de tout. J’ai écrit de la publicité, des émissions de radio aussi. J’ai fait un peu de journalisme et j’ai été écrivain public. Quand j’étais ado, je me disais que je pouvais écrire n’importe quoi qui peut s’écrire. »

On ressent cette délectation dans Petit-Chagrin ou Il ne faut pas laisser un être doux jouer avec des couteaux, son dernier recueil de nouvelles publié chez Lévesque éditeur. Dans l’utilisation de la langue et la façon de raconter des histoires, aussi improbables qu’elles paraissent, avec des anti-héros sensibles, timorés. Au regard souvent effaré devant le monde qui leur échappe.

« Le fantastique se prête bien à la nouvelle courte. Même dans les romans. Dans Un homme discret (Lévesque éditeur, 2017), un homme est à Bruxelles où une bombe explose. Tout le monde est mort autour de lui. Il ramasse le passeport de quelqu’un d’autre et devient une autre personne. Cet homme de Québec revient vivre à Montréal, mais il est incapable de renaître. Ça ne marche pas. Il ne peut pas devenir quelqu’un d’autre. Ce n’est pas fantastique, mais assez étrange. »

Le premier texte du nouveau recueil, La vie est un cirque, donne le ton qui naviguera entre la tombola et le cabaret de curiosités, voire l’insolite. Des personnages tout aussi indescriptibles: la plus grosse femme du monde, un boxeur qui se bat contre un ectoplasme. un chat qui est peut-être une sorte de grosse bête ou un même un enfant.

« Je n’ai pas voulu être systématique dans les nouvelles, dit-il. Rosebud, en référence à Orson Welles, porte sur une femme qui monte en avion avec sa petite fille. C’est quelque chose qui se passe dans une autre dimension. « 

« Quand j’étais petit, je réussissais à me persuader que tout cela n’était que du cinéma, que mon père n’était pas un ogre ventripotent qui tenait un rôle dans un conte de fées, que le grand couteau qu’il avait à la main ne m’était pas destiné, et je me disais que, demain matin, au petit déjeuner, j’aurais mes céréales et mon lait. Je m’endormais sans penser que, sentant une main appuyer fortement sur ma nuque, je finirais noyé dans mon assiette. » (La vie est un cirque)

100 vies, 100 chapeaux

Louis-Philippe Hébert a le parcours d’un écrivain qui a vécu 100 vies, pourrait-on dire. Qui était surtout ailleurs quand on l’attendait quelque part et vice-versa. Il a collaboré avec tellement d’autrices.teurs et maisons d’édition depuis un demi-siècle qu’il pourrait ajouter à la liste de ses réalisations un dictionnaire sur la littérature québécoise. Sait-on jamais.

« J’ai été avec les formalistes de La nouvelle barre du jour, avec Victor-Lévy Beaulieu et Michel Beaulieu aux Éditions du jour et à l’Estérel aussi. J’ai rencontré Marcel et François Hébert qui ont créé la revue Les herbes rouges. J’étais dans le premier numéro. La maison d’édition est apparue après quelques années. Au début des années 2000 quand Marcel est mort, j’ai revu François qui a demandé à voir ce que j’écrivais à ce moment-là. C’était Le livre des plages. »

Ce recueil de 350 pages a remporté le Grand prix du Festival international de poésie de Trois-Rivières et marquait le retour définitif de son auteur en littérature après avoir cessé de publier pendant 20 ans. L’homme, voyez-vous, ayant fait un petit détour du côté de l’informatique. Dans la peau d’un entrepreneur qui a déjà eu 80 employés sous ses ordres.

« Ça a été 20 ans de ma vie. J’avais appris la programmation et j’écrivais toutes sortes de programmes. Des professeurs de l’UQAM m’ont convaincu de créer une compagnie pour en vendre. On en a produit 300 en une quinzaine d’années, dont Secrétaire personnel, le premier traitement de texte pour PC en français. On a inventé le premier correcteur grammatical en français également. On a même travaillé au Japon. »

L’écrivain n’aura pas été qu’écrivain finalement. Il lui manquait de chapeaux, sans doute. Autre casquette: agriculteur à Saint-Denis-sur-Richelieu tout près de Belœil, où il a longtemps vécu. À une certaine époque, il a même écrit des résumés de films, qu’ils n’avaient pas vus, pour l’organisme Cinéma Canada.

« On me donnait toutes sortes d’informations sur le film pour y arriver et intéresser les acheteurs potentiels. Un jour, un réalisateur m’appelle pour me parler de la fiche à propos de sa réalisation qui était en montage. Il m’a dit que, grâce à ce que j’avais écrit, il avait enfin trouvé comment finir son film, ce à quoi il travaillait depuis deux ans. »

Écrire en char

Mais jamais rien ne l’a empêché de continuer d’écrire. En route vers Québec, où il allait donner des conférences en informatique et rencontrer des clients gouvernementaux, Louis-Philippe Hébert écrivait dans sa tête de savant fou. Quoiqu’il préfère le mot plus scientifique de scientifique.

« Je n’ai que des prétentions scientifiques. Pour moi, la littérature c’est comme une formule mathématique de la phrase ou du vers. Il y a une logique complète dans un texte, mais qui n’est pas nécessairement apparente. Je ne veux pas la ploguer dans la face du lecteur. J’essaie de structurer le texte suffisamment pour que le lecteur se sente dans un système qui se tient. »

Ainsi, deviennent possibles des envolées plus poétiques qui traversent certaines histoires. Des imaginations ou imaginaires qui tentent d’échapper au réel dans des numéros de prestidigitation.

« Alors, sachez que, au-delà du stress, ce qui est insoutenable, c’est de toujours voir la réalité. On voudrait fermer les yeux. Baisser les paupières, les vraies paupières, les paupières intérieures, semble interdit. On voudrait que le rideau tombe sur le réel, le réel impossible à regarder pour un cerveau normalement constitué, comme le regard ne peut soutenir le cercle brûlant du soleil. » (Il ne faut pas laisser un être doux jouer avec des couteaux)

Lovecraftien

Même si elle peut prendre des direction surprenantes ou fantastiques, la façon Hébert existe. Il y a un début… Puis hop, attachez vos chapeaux avec de la broche!

« Pour moi, le défi c’est de voir ce qu’il y a là. Parfois, c’est une phrase, un début ou juste un titre. Je m’installe et je fouille dans le titre. Je rentre dedans. Il m’arrive de faire de longues descriptions parce que je sens qu’il y a quelque chose qui s’en vient et qu’il faut cristalliser. Il faut le placer. C’est presque Lovecraftien comme démarche. Pour moi, c’est important parce que sinon je ne trouverai pas ce que je cherche. Pas plus que le lecteur d’ailleurs. »

« Marie réparatrice [Prix du gouverneur général 2015], par exemple, poursuit-il. Je lui parlais carrément à Marie en lui disant de ne pas faire telle ou telle chose parce qu’elle allait se blesser, mais elle le faisait. Je fais beaucoup de lecture à voix haute. Une phrase doit être parfaitement balancée. La littérature ce sont des mots, comme la musique, ce sont des notes. »

Il a encore huit ou neuf livres en chantier. L’ennemi de Mozart, Salieri, dirait que ce sont beaucoup trop de notes. L’homme aux chapeaux répondrait qu’il s’en fout. Même s’il dit qu’au total il n’y a peut-être que 100 000 véritables lecteurs au Québec.

« J’ai de la difficulté à croire en la lecture, mais je crois toujours à l’écriture. Je ne crois pas que ça puisse disparaître. Philip Roth disait que les gens n’avaient plus le temps de le lire. Pourtant, Dieu sait qu’entre une heure de télévision et une heure de lecture… Après la lecture, on se sent mieux physiquement. Après la télé, on est assommé, vidé. Une bibliothèque c’est tellement important. »

Ses Éditions de La Grenouillère

« J’adore mon travail d’éditeur. Je fais tout moi-même. Je n’ai qu’un lecteur, en fait, pour ce que, moi, j’écris. En poésie cette année, j’ai eu l’idée de sortir des inédits en format poche. On en a lancé cinq ce printemps. À l’automne, ce seront des ouvrages en prose. J’aime la poésie, j’en lis beaucoup. J’ai toujours 8 ou 9 recueils à côté du lit. »

Annie Landreville, Date de péremption

« C’est une poète vraiment le fun. Radicalement féministe. C’est son premier vrai recueil. Elle avait fait quelques contributions littéraires auparavant. »

Extrait: « Notre oxygène acheté à crédit/nous n’arrivons pas à payer/pour les intérêts humains//nos enfants sont gratuits/et abondants//la bourse a gagné sur la vie »

Alain Fisette, Poisson-clown

 » Alain c’est un personnage. C’est extraordinaire ce qu’il écrit. Il avait déjà publié un roman de 800 pages, Nymphos, chez nous. »

Extrait: « Peu importe/Nous lançons des lignes//Nous sommes des tueurs de poissons//Pas des bourreaux. »

Françoise Roy, Le carrousel des eaux

« Françoise vit à Guadalajara au Mexique depuis 25 ans. J’ai beaucoup aimé ce recueil en prose. Un genre hybride. C’est très fort. »

Extrait : « Amour, honte, gratitude, désir, peur, tendresse: bolides cherchant à même leur poitrines la porte de sortie. »

Sara Cohen, Murmure et incertitude/Opportunité, traduction: Louise Desjardins

« C’est une écrivaine argentine qui a fait un très belle traduction en espagnol de L’homme rapaillé de Gaston Miron. Je suis très heureux de la présenter en français. »

Extrait: « J’ai peur/de traverser le temps/je crains de tomber/Ce n’est pas clair/qu’il existe un pont/entre ce/que nous avons été/et ce que nous sommes »