
绮幻之境 (Un monde fantastique) ou X: The Land of Fantasy en anglais. C’est le titre de la 45e création originale et nouveau spectacle permanent du Cirque du Soleil présenté à Hangzhou en Chine, dont la première officielle a lieu demain soir. Hugo Bélanger, metteur en scène de la pièce Le bizarre incident du chien pendant la nuit (présentée chez Duceppe l’an dernier et cet été à Saint-Jérôme) est à la barre de cette production gigantesque mettant en vedette une cinquantaine d’artistes. De cirque, mais de la scène aussi, puisqu’il s’agit du spectacle du Cirque « doté de la plus grosse trame narrative de son histoire », estime le metteur en scène québécois.
En quelques mois, Hugo Bélanger est passé de la mise en scène de la pièce Le bizarre incident du chien pendant la nuit (prix de la critique pour le comédien Sébastien René et le scénographe Jean Bard) et d’un solo, Ça, de l’humoriste André Sauvé, à l’écriture et à la direction du spectacle 绮幻之境 (Un monde fantastique) du Cirque du Soleil en Chine. Une hyper-méga-production qui l’occupe depuis trois ans et demi.
« C’est la beauté du métier, dit-il en entrevue sur Skype. Mais ce n’est pas la grosseur du spectacle qui m’importe. Je suis revenu 10 jours au Québec cet été pour la reprise du Bizarre incident et ça m’a fait énormément de bien. Pour moi, c’est la même chose: raconter des histoires. Dans Un monde fantastique, il importait que tout soit au service de l’histoire. Tous les numéros acrobatiques doivent faire avancer le récit, même s’il y a toujours un moment où l’aspect cirque prend le dessus. Je voulais raconter une histoire d’une façon qui n’a jamais été faite auparavant. »
Avec un budget total avoisinant les 200 millions de dollars américains, le metteur en scène québécois a pu mettre en oeuvre une épopée fantastique aux limites de la physique quantique avec des univers parallèles qui se croisent durant la représentation.
« On a une salle très particulière et j’ai écrit en fonction de ça. Quand j’ai vu les deux gradins, je trouvais ça bizarre au début, mais je me suis dit qu’on pouvait organiser une rencontre entre deux mondes, entre ces gradins indépendants. Chaque gradin a donc son personnage principal, son héros et son histoire. Il y a 20 % du spectacle qui est différent selon l’endroit où l’on se trouve dans la salle. J’aimais l’idée qu’il n’y a aucune autre salle dans le monde qui puisse raconter une histoire de cette façon. Ce sentiment là est formidable. »
Les deux gradins peuvent bouger latéralement et tourner sur 360 degrés. Les spectateurs peuvent être opposés sans se voir à l’aide de rideaux et d’une scène de 100 mètres de long. À titre de comparaison, la plus grande scène montréalaise, Wilfrid -Pelletier, mesure 20 mètres. Autre exemple de cette démesure, dans Le bizarre incident , Hugo Bélanger disposait de deux projecteurs vidéo. En Chine, il en utilise 60!
Faire Bélanger

Pourquoi faire simple quand on peut faire Bélanger, blaguent certains interprètes qui ont travaillé avec le metteur en scène dans le passé. Il dirige dans Un monde fantastique une cinquantaine d’artistes circassiens et comédiens, dont la moitié sont Chinois. Une dizaine d’interprètes québécois participent aussi au spectacle. Les personnages principaux sont tenus par des artistes de cirque multidisciplinaires. Enfin, deux acteurs-chanteurs interprètent des chansons en direct sur une bande sonore pré-enregistrée.
« Avec Luc Langevin et Stéphane Bourgoin, raconte Hugo Bélanger, on a aussi créé des numéros de magie qui utilisent le son, la vidéo et l’illusion. Il peut se passer des choses impossibles dans ce monde-là. Il y a, notamment, un jeu avec des personnages qui entrent et sortent d’un écran. Un narrateur raconte l’histoire au début et il dessine des personnages qui sortent du dessin. »
« Même en répétition, on était étourdis parfois, avoue-t-il. Les gradins bougent, la scène bouge, l’écran bouge. La scène de 100 mètres est longue comme un pâté de maisons et elle recule! c’est très impressionnant. L’effet sur l’œil est particulier. »
Le metteur en scène a chois parmi les numéros circassiens proposés ceux qui s’intégraient à son récit. Une création originale utilisant le bungee a été réalisée pour Un monde fantastique. Les mats chinois sont également utilisés. Les patins à roulette aussi, même si, au départ, Hugo Bélanger aurait aimé avoir des patins à glace.
Mais le spectacle a été conçu d’abord et avant tout pour le public chinois, précise-t-il.
« Hanzhou est une ville très visitée par les Chinois eux-mêmes. Marco Polo y est allé. C’est une capitale où les gens vont beaucoup pour se marier. Mais les producteurs ne voulaient pas un spectacle chinois comme tel. Les jeunes sont avides de nouveautés ici. Le défi était de créer une production internationale. »
La rencontre de l’autre

Dans ce contexte particulier, le metteur en scène s’est amusé à jouer avec les conventions, à innover, à écrire et réaliser un spectacle unique en son genre. Et en Méliès de la scène qu’il a toujours été, que l’on pense au Bizarre incident, au Tour du monde en 80 jours ou à Münchhausen.
« Mon histoire c’est un monde qui a été séparé en deux par un tremblement de terre, symbolisé par le serpent du chaos. En parlant du spectacle avec un maître feng shui, il m’a expliqué que ce qui sépare le ying et le yang, c’est justement un serpent qui représente la soif de pouvoir. Le serpent est le méchant dans notre histoire qui sépare deux autres animaux: le dragon et le phénix. En Chine, le dragon est l’empereur et le phénix, l’impératrice. »
Le récit débute avec des enfants, frère et soeur, déposés devant chacun des deux palais et adoptés par les souverains en dépit de l’opposition de leur conseiller respectif. Les deux enfants seront envoyés en exil, mais avec l’espoir d’être réunis un jour. Ce voyage initiatique prendra la forme d’une recherche de la paix entre les deux univers.
« Le spectacle se déroule aussi dans la salle et les gradins, poursuit-il. Le spectateur est entouré de l’histoire. Il en fait partie selon qu’il se retrouve dans le gradin rouge ou le jaune. Les spectateurs, sans brûler de punch, font partie à un moment donné des armées qui s’affrontent. C’est un spectacle sur la rencontre de l’autre. »
Chine mystérieuse

Entre guerre et paix, Un monde fantastique s’est nourri de nombreux symboles et de métaphores. Hugo Bélanger a toujours aimé les épopées, les histoires où les personnages posent des gestes plus grands que nature. La production est également à l’image de la Chine qui reste, à nos yeux bien parfois, bien mystérieuse.
« En Chine, tout peut devenir politique, donc j’ai installé le récit dans un univers fantastique. C’est un peu le même principe que Les voyages de Gulliver, un livre dans lequel Jonathan Swift critiquait la cour, mais comme ça se déroulait dans un univers fantastique, il pouvait se le permettre sans se faire couper la tête par le roi. Là, on parle d’une rencontre entre l’Occident et l’Orient sans être au premier degré. »
Sans parler de censure, le metteur en scène a fait appel à des conseillers chinois pour éviter certains pièges ou impairs.
« La Chine est un monstre incroyable, un empire. Une culture fascinante qui fait peur en même temps. Ils sont un milliard avec une économie forte qui risque de dominer le monde de demain. On n’est jamais certain comment il faut traiter avec eux. Mais les Chinois, eux, veulent apprendre à nous connaître aussi. Le spectacle symbolise cette autre rencontre. »
« Bien des choses, ajoute-t-il, qui, pour nous sont évidentes, fonctionnent différemment ici. La Chine, c’est toujours particulier. Notre directeur de création Neilson Vignola a vu pour la première fois des publicités pour le spectacle aujourd’hui [mardi] alors que les représentations ont commencé samedi. »
Samedi prochain, Hugo Bélanger, lui, sera de retour à Montréal pour reprendre le collier avec sa compagnie Tout à trac et préparer les nouvelles saisons théâtrales. La saison 2019-2020 en sera donc une d’écriture pour lui. Des vacances quoi!