
Antoine Desjardins est de cette lignée d’écrivain.e.s qui se préoccupent avant tout de l’état de notre planète ignée. Indice des feux est un premier recueil convaincant de sept nouvelles qui s’intéressent à toutes les sortes d’incendies. Les petits et les grands, directement ou indirectement causés par l’homme, qui coupent maintenant et couperont encore demain nos lignes de vie.
Le livre d’Antoine Desjardins ne crie pas au feu. Comme le titre le suggère, le nouvel auteur sème des indices, comme de petits cailloux sur la route, avertissant d’un éboulement imminent. Ces pierres ne sont pas des mines antipersonnelles non plus; elles n’explosent pas au visage et on pourrait, presque, ne pas les détecter. Mais à force d’avancer, le temps passé en compagnie des personnages attachants d’Indice des feux ouvre une subtile brèche qui refuse de se refermer.
Antoine Desjardins est un jeune homme inquiet. Ce premier livre dresse un tableau de ce qui le tracasse dans l’état du monde actuel comme la disparition de la faune et de la flore, de l’innocence aussi. Sa sensibilité se penche sur toutes les formes de vie et son cœur flanche. Et la pandémie ne fait rien pour atténuer cet état de choses.
« J’ai écrit le livre en voulant que mes préoccupations personnelles soient lues, entendues, mais surtout qu’elles soient partagées par le plus grand nombre possible. Je ne voulais pas rattacher ces histoires à ma personne ou à mon égo. J’essaie de donner à voir pour partager. On n’a pas tous cette hyper-conscience de l’environnement, mais je crois que tout le monde est inquiet à différents degrés. »
Il ne fait pas de doute, à ses yeux, que la majorité des habitants de notre petite planète pensent à un moment ou à un autre à ce qui ne va pas et ce qui, donc, ne peut pas durer. Écrire ce livre était sa façon de rejoindre cette part d’altruisme en eux.
« Tous les jours, peu importe où je suis, ma lecture du monde est influencée par l’éco-anxiété. Mon regard est tourné vers le lien entre ce qu’on fait, ce qu’on vit, et l’environnement : la gestion du territoire et des ressources, nos relations avec les autres et avec les lieux . »
Il croit que la littérature peut jouer un rôle en quelque sorte d’aidant naturel en permettant un arrêt sur image sur ce qui est préoccupant, de la présence des coyotes à Montréal à l’extinction des baleines noires, en passant par l’étalement urbain.
Ouvrir les yeux et le coeur
« L’écriture permet d’ouvrir le sens. Je voulais parler d’environnement d’un point de vue humain. Comment ça transforme notre comportement et ça change notre façon d’habiter le monde ou d’interagir avec les autres. Comment ça influence, parfois de façon subtile et inconsciente, notre expérience du monde. »
Il aurait pu écrire un roman apocalyptique ou post-apocalyptique, il a préféré le vraisemblable et les réalités identifiables et analysables de fond en comble. Comme chez ce couple de la nouvelle Couplet qui se demande si mettre au monde un enfant est vraiment une bonne idée à notre époque.
« Ce qui m’intéresse en littérature c’est de prendre un petit élément et de le creuser jusqu’à la moelle, relever la signification d’un instant banal pour voir les choses autrement. Pourquoi inventer toutes sortes de choses alors qu’on vit la crise écologique ici et maintenant. »
Ses nouvelles ne forment pas un livre de recettes et ne font la morale à personne. Antoine Desjardins dit faire confiance au lecteur tout en attirant son regard vers des drames ou des événements qui nous rejoignent tous, comme la perte de liberté.
« Plusieurs m’ont dit se retrouver dans la nouvelle Fins du monde sur l’étalement urbain. Je n’avais pas besoin de faire dans le spectaculaire et le grandiose. Comme dit Bertrand Gervais dans un essai, c’est comme une « apocalypse intime ». C’est un moment charnière d’une vie où le rapport au monde bascule. Ça nous arrive à la fin de l’enfance et de l’adolescence bien souvent. »
Mourir trop jeune
À ce sujet, la nouvelle qui ouvre le recueil, À boire debout, est l’un des textes les plus troublants qu’il nous ait été donné de lire depuis fort longtemps. Les dernières pensées d’un ado atteint d’une maladie incurable donnent le frisson. Cette urgence de la parole.
« C’est un texte plus dur et proche de la langue orale, confie-t-il. Il a pris beaucoup de temps à aboutir comme il est. C’était une voix très claire et forte, qui n’était pas la mienne, mais qui me semblait sincère et juste, à la fin. C’est comme si j’avais joué avec des postes de radio. Il y a eu beaucoup de friture avant que je trouve la bonne fréquence. »
« Ma mort m’appartient pas vraiment. Tout le monde veut en faire sa chose. Son jouet, sa bébelle. Avoir son mot à dire, son moment spécial, son souvenir impérissable. Tout le monde en veut un morceau. Mais crisse que je suis écœuré de partager. Je veux juste qu’on me sacre patience de temps en temps, pis qu’on sorte de ma bulle, pis qu’on me laisse crever en paix. Quand Francine met tout le monde dehors, on dirait qu’on m’enlève un piano à queue en marbre du chest. Mes côtes se décoincent, se décrispent. Mes poumons se déplient. Je respire. Ça fait de l’air.
Ça en prend de l’air pour mourir en paix. » (extrait)
Mis à part ce premier texte plus cru, hyper-lucide et livré à un train d’enfer, non sans un certain humour, l’écrivain ne cherche pas nécessairement à bouleverser le lectorat. Mais tous les récits sont habités par des personnages chez qui l’on sent le volcan bouillonner, où l’on perçoit une rage à peine contenue, nourrie par la mélancolie et le dépit.
« Je pense qu’on sent que le livre est un seul et même projet. Même si ça ne se voit pas nécessairement dans l’écriture, on sent l’urgence, l’inquiétude et un certain regard sur le monde. Je pense qu’on le voit dans la sensibilité qui se cache derrière l’écriture. »
« Ce qui me stimule en écriture, poursuit-il, c’est de ne pas savoir. J’ai une idée générale de ce sur quoi écrire, mais je découvre le personnage et sa voix au fur et à mesure. L’adéquation entre le style et le sujet résulte davantage du geste d’écrire qui est une mise à l’essai. Chaque texte dans Indice des feux est porteur d’une voix vraiment différente. »
« Tous les personnages du livre ne sont pas moi, ajoute-t-il. Mais dans Feu doux, les deux voix de l’homme rationnel et de son frère, plus idéaliste, je les entends en moi. C’est une discussion que j’ai parfois avec moi-même, mais je ne suis ni un ni l’autre. Le livre donne une voix à des choses qui m’appartiennent et d’autres non. «
Tendresse
Le livre se termine sur un mélange de tendresse et de mélancolie dans deux textes qui s’étonnent de la disparition des oiseaux et d’un grand-père amoureux des arbres.
« Ma nouvelle sur les oiseaux, Générale, est l’une de mes préférées parce qu’elle déjoue les attentes. C’est une nouvelle au « je », mais un « je » qui n’est pas donné à voir. On observe une femme, Angèle, qui est beaucoup plus intéressante d’un point de vue narratif. Le « je » ne commente qu’à la fin. Et même là, il reste un doute. »
Quand on referme le livre, on comprend qu’Antoine Desjardins ne veut rien imposer. Il préfère suggérer, ouvrir des chemins vers la compréhension du monde. Il n’y a pas une once de pamphlétaire en lui, mais plutôt une âme sensible et généreuse, sans préjugés.
« Si on n’avait pas écrit mon nom sur la couverture du livre, je ne serais pas surpris que l’on dise que mon regard en est un de femme. Je suis particulièrement fier qu’on m’accorde des qualités ou des comportements généralement associés aux femmes. C’est complètement absurde de dire que la gentillesse est une qualité féminine. Je pensais ça à cinq ans et 25 ans plus tard je continue de le croire. Je suis quelqu’un de fragile et je l’assume. L’écriture et la vie pour moi, c’est indissociable. Je crois aux valeurs de compassion, d’écoute, d’accueil et à l’absence de jugements moraux. »
Allumage de réverbères et extinction des feux.
Antoine Desjardins
Indice des feux
La Peuplade
360 pages