
Michael Delisle, poète, romancier et nouvelliste, en est aujourd’hui à son 15e ouvrage. Certains de ceux-ci ont fait l’objet, récemment, de rééditions. En 2019, en plus, un choix de poèmes, présenté par Michaël Trahan, était offert sous le titre de Gisements, aux éditions du Noroît. On n’est donc pas surpris d’éprouver le sentiment que ce dernier opus présente un peu, d’une certaine façon, des airs de bilan.
Il est vrai que le genre de la nouvelle permet cela. Permet de butiner quelque peu dans le champ de ce qui a déjà été écrit, au sein des thèmes qui sont chers à l’auteur, et d’essayer de dire différemment, de voir où l’on en est et ce qui demeure à dire, ce qui s’invite, malgré soi, à ressurgir sur la page. À sourdre depuis le fond de ce qui fait que l’on veuille et doive encore écrire.
On ne boudera donc pas notre plaisir à le retrouver égal à lui-même, avec ces explorations dont on reconnaît quelque peu la teneur, mais différemment ouvragées, façonnées. On y sent aussi la maîtrise de l’âge (Pardon, Michael! …de l’expérience!), une sorte de confiance et de sérénité. Comme si on hésitait moins qu’auparavant à dire, parce que l’on connaît mieux le spectre des thèmes qui nous importent et la palette des couleurs que l’on veut peindre.
Avec ce Rien dans le ciel, on retrouve donc l’univers de l’auteur, tel qu’il nous est apparu dans ses livres précédents. Le thème des antécédents familiaux, des histoires de famille, n’est jamais loin. Deux nouvelles y font plus explicitement référence : Nuit sans lune et Je suis parent avec cet homme.
Sous le vernis de cette image de parents que le narrateur croyait connaître, quelque chose en vient immanquablement à craquer. Des histoires anciennes renaissent, des réactions alors incompréhensibles prennent le sens qu’elles devaient avoir, des caractères se révèlent pour ce qu’ils sont vraiment. Il y a là, parfois, du glauque. Non pas de ce glauque qui horrifie et fait que l’on se détourne, mais de cette variante plus touchante, humaine et simplement faible.
Les deux nouvelles citées nous le montrent bien. La première retrouve un moment de l’enfance qui prend un aspect nouveau, saisissant, et qui a des tonalités assez cruelles. De même, apparaît aussi cruel, dans la deuxième, le portrait d’un oncle assez complaisant envers lui-même, dans un choix de vie perturbant.
Art du récit
L’auteur sait comment faire, en peu de mots, pour monter des personnages solides, charnus d’humanité. Immanquablement, se révèle une fêlure, d’abord petite puis, rapidement, grinçante. Ce locataire expulsé, cet homme mûr et son ami en quête de supplément d’âme, cet autre qui fuit devant la mort ont tous en commun ce moment de rupture, cet entrebâillement du moiré de la vie où un destin se montre, accablant ou veule, c’est selon.
Quelque chose hante aussi les récits, qui doit bien s’expliquer en partie par l’âge de l’auteur qui est à ce moment de la vie où se pointe le moment de la retraite et des retours nostalgiques. En témoignent des évocations d’instants et tranches de vie où certaines cicatrices, des déboires enfin acceptés, des erreurs à soi pardonnées, transparaissent sous le quotidien, nourrissent les idéaux qui nous restent encore, quelque peu affadis.
Il y a un âge où on a les convictions qui nous restent, bien vrillées à l’âme mais que l’on sait contestables. Si elle ne peuvent, à nos yeux, avoir encore valeur d’absolu, elles n’en demeurent pas moins nos référents, qui réconfortent. On sent bien alors qu’on les entretient et les conforte pour cette seule vertu qu’elles sont nôtres et ne nous ont pas toutes abandonné, elles…
Voilà ce qui explique qu’on ne peut pas vraiment se révolter contre ces tons glauques. Ils n’ont rien d’outrancier. Ils sont vrillés à ce que nous sommes, ils sont cet instant où l’on ne résiste plus devant un choix qui ne sied pas tout à fait mais qu’il faut bien faire pour en venir à pouvoir survivre. À espérer un semblant d’espérance, dans le gris de ce petit désespoir qui n’est pas tragique mais simplement humain.
Car, ne l’oublions pas, il n’y a rien dans le ciel. Rien qui nous attende!
Michael Delisle
Rien dans le ciel
Éditions du Boréal
144 pages