ARTS VISUELS : Vigilance, composition, échec

FALLING LIGHT, 2023, Impression au jet d’encre, 120 x 240 « , 304.8 x 609.6 cm, Ed. 5 + 2 AP
Séries: Lac bleu, terre rose, sphère rapiécée, plaie fraîche. CCW 2023 © Chih-Chien Wang

Le lauréat du prix Louis-Comtois 2020, Chih Chien Wang est de retour à la galerie Pierre-François Ouelette Art Contemporain jusqu’au 21 octobre prochain. Son exposition Lac bleu, terre rose, sphère rapiécée, plaie fraîche vibre au diapason d’un monde défaillant.

D’emblée, on est quelque peu saisi. Certes, les images offertes en vitrine de la galerie correspondent à ce que l’on peut connaître de Chih Chien Wang. On y reconnaît son goût pour un certain agencement et pour une saisie d’un rien inopportune et surprenante de tranches de vie dont on ne sait pas toujours si elles ont été sténographiées ou prises sur le vif.

Puis, on s’avance en ce territoire qu’est la galerie et on se retrouve face à cette immense épreuve qui semble montrer, soit le feu du ciel descendant sur nous, soit un autre plus catastrophique encore, enflammant nos paysages. On y perçoit une allusion claire à ce qui fut notre lot cet été au Canada et en d’autres lieux du monde. Les feux de forêt ravageant hectares et hectares de forêt. Mais ce bougé, ce tremblé est quelque peu disruptif. Il s’inscrit un peu en faux avec ce qu’on considère être le terreau privilégié de cet artiste. Celui-ci a d’ailleurs hésité à la joindre à cette exposition, la référence aux événement de cet été le dérangeait quelque peu, étant donné que ladite œuvre a été faite avant.

Lit-on le texte qui accompagne cette présentation que l’on saisit mieux! On apprend que le gyroscope de sa caméra-drone est brisé. On attribue dès lors le rendu de ces images à cette circonstance malheureuse. Puis, on va un peu plus loin et on entre dans la petite pièce permettant de visionner en privé une œuvre vidéo de quelque huit minutes. Là, pourrait-on dire, on tombe en pleine dysphonie et dyscopie. On comprend que cette pièce se présente comme la clé permettant de mieux saisir ce qu’il en est de ces images. Les effets malencontreux de ce drone défaillant sont ici apparents. Des images défilent et déraillent. Les lumières en elles, réflexions diverses ou éclairages de nuit, zèbrent l’écran. Se font météores tombant sur la terre. Elles rappellent évidemment deux des œuvres en galerie, dont celle d’une immense surface aux lucioles, aux astres déferlants. La vidéo se clôt sur la prestation cacophonique d’un musicien. Une tonitruance de sons rejoint celle des images.

HALF TREE, 2023, Impression au jet d’encre, 40 x 60 « , 101.6 x 152.4 cm, Ed. 5 + 2 AP
Séries: Lac bleu, terre rose, sphère rapiécée, plaie fraîche. CCW 2023 © Chih-Chien Wang

Défaillance du monde

Cette défaillance est érigée en système, en nécessité. La représentation est ici aussi claudicante que ce monde même dans lequel on vit. À cet effet, il est révélateur que le titre de cette exposition en soit moins un qu’une liste descriptive des œuvres montrées. S’il devient presque impossible de chercher une raison commune de ce monde qui est la nôtre, comment parviendrait-on, dans sa représentation, à en offrir quelque chose de pareillement inclusif et totalisant ? Comment se résoudre à ériger un ordre ? Tout effort en ce sens n’est-il pas condamné d’avance ?

On comprend alors que toute l’actualité, avec le vague sentiment de culpabilité qui s’ensuit, vient déranger le cours usuel de la vie d’artiste de Chih Chien. Certes, dans des œuvres comme Droplets Lemon Sprout ou Patched Sphere, on se projette dans son univers connu. Cette pousse de citron sous verre embué ou cette terre en pelote enrubannée nous rappelle le style de scène composée, montée en studio souvent, savamment dosée et étudiée, typique de l’artiste. White Column et les pièces telluriques évoquées plus tôt, surprennent. La forte pixellisation de la première, qui entache la reproduction, suggère une image démesurément agrandie, saisie depuis un drone assez lointain. C’est une éolienne transformée en croix qui est ainsi au centre de l’image. Celles-là témoignent sans doute du désarroi mentionné plus tôt.

HAND WITH WOUND, 2023, Impression au jet d’encre , 40 x 60 « , 101.6 x 152.4 cm, Ed. 5 + 2 AP
Séries: Lac bleu, terre rose, sphère rapiécée, plaie fraîche. CCW 2023 © Chih-Chien Wang

Mais peut-être est-ce avec Hand With Wound qu’il faut chercher unité et réconfort. On y voit la main du fils de l’artiste, Shaore, sur laquelle des ampoules ont éclaté, laissant une chair rose à vif. D’emblée, cette vue évoque l’idée de la fragilité, de la mise à nu, d’une surface d’ordinaire imperturbable (l’image ?) donnant sur la crudité du corps. Mais il faut savoir que ces blessures proviennent d’une passion pour la gymnastique. Elles sont donc la conséquence attendue d’un engagement finalement assez spartiate.

En cette occasion plus qu’ailleurs, peut-être, une semblable réconciliation semble possible, même dans un certain désaveu. La poésie travaillée de l’image se confronte à la banalité de ce qui advient immanquablement quand on se confronte à la réalité d’une discipline exigeante. Cette blessure est accueillie par un haussement d’épaules de la part de celui qui se l’est infligée. Lui importe bien davantage qu’elle témoigne de l’acquisition progressive d’un savoir du corps qui en tirera les enseignements nécessaires à mieux performer.

J’en veux pour preuve cette étrange réaction de Shaore devant cette image. « You are too soft! (Tu es trop mou) », aurait-il dit à son père.

DROPLETS LEMON SPROUT, 2023, Impression au jet d’encre,
60 x 40 « , 152.4 x 101.6 cm, Ed. 5 + 2 AP
Séries: Lac bleu, terre rose, sphère rapiécée, plaie fraîche.
CCW 2023 © Chih-Chien Wang

Chih Chien Wang, Lac bleu, terre rose, sphère rapiécée, plaie fraîche, Pierre-François Ouellette Art Contemporain, du 9 septembre au 21 octobre 2023