ARTS VISUELS : Entre l’art et la vie

Vue de l’exposition Salissures, photo: Normand Rajotte

Salissures résulte d’une carte blanche accordée à l’artiste Pierre Bourgault. Cette circonstance est ainsi qualifiée d’exposition de mémoire, occasion donnée à des artistes ayant marqué le parcours de la galerie Occurrence. Un tel événement permet une continuité dans le temps et un retour sur des moments-clés, créés par des acteurs importants de la scène artistique. C’est comme une pierre blanche qui en saluerait une autre.

Il y a quelque chose d’assez organique dans cette exposition. C’est probablement parce qu’elle n’est pas individuelle (lire égoïste!), pas plus qu’elle ne se destine à offrir une perspective « songée », apparemment, à l’oeuvre d’un artiste, avec commissaire et accompagnement critico-analytique. Elle résulte, il est vrai, d’une invitation lancée à Pierre Bourgault, par Lili Michaud, directrice de la galerie. Agir ainsi est un gage de respect, trahit un désir de rendre hommage. Mais cet hommage a pris un tour tel qu’on n’est plus dans une sorte de révérence transie et admirative à l’excès. Non, loin de là! Elle présente un aspect assez gamin, créatif et amical. Car il faut bien lire; c’est une exposition « avec »…Avec les autres, les fidèles, les complices, les intrigués, venus à St-Jean-Port-Joli et accueillis par ce grand iconoclaste du Bas-du-Fleuve, sculpteur de son état et artiste impliqué par la force des choses et les besoins de son coin de pays.

Tout cela donne dans une sorte de connivence qui est génératrice d’inédit et de création. Dans la salle 2, celle qui nous accueille à l’entrée, une sculpture de bois, grande et anguleuse, sert de pièce centrale. Autour, des œuvres d’Anne-Marie Proulx tapissent les murs, offrAnt un point de référence, car la sculpture, avec ses ouvertures en ses flancs, fait office de lunette encadrante sur le tout. Sur un coin, il y a même une œuvre des deux artistes qui se toisent et se ressemblent. Plus loin, des bâches empesées comme elles le seraient de varech et de limon, se placent en trio près de l’entrée de la salle 1, devenues pièces de l’artiste.

Dans cette autre salle, c’est un grand verre qui s’étend à nos pieds. Pas celui de Marcel Duchamp, non, certes! Mais il y a, dans cette salle, quelque chose de son humour et de sa forfanterie. Sur ce grand verre, se présentent des œuvres qui ne sont pas celles de Bourgault mais de patenteux et d’artisans qui ont su le séduire par leur imagination et leur ludicité. Car jouer avec la matière, les formes et les couleurs, ce n’est pas le seul apanage d’artistes patentés. L’autodidacte y est autorisé et il arrive que les pièces créées soient sans précédent aucun et que, par là, elles étonnent et détonnent. De plus, c’est là l’ordinaire dont, on le suppose, s’entoure l’artiste.

Vue de l’exposition Salissures, photo: Normand Rajotte

Puis, au fond, des images produites par Gwenaël Bélanger nous montrent l’artiste, de dos, revêtu de différentes salopettes. Chacune y va de son inscription qui va d’une épaule à l’autre, coquine, énigmatique, codée, singulière, incluant les paroles candides de sa petite-fille, Rose. Ces uniformes de l’artiste, qui ne le sont justement pas, sont d’ailleurs là, sagement pliés, sur un présentoir. Sur un mur, un pochoir a laissé une sorte de fausse marque de commerce. « Création Pier Le Gros », dit-elle. Et une image-photo montre une vieille armoire de bois, pleine d’étranges jouets de bois.

Tout cela fait assez iconoclaste. Joue sur la frontière entre l’artisan et l’artiste, le gosseux original et le poseur dadaïste. C’est que ces catégories n’ont plus cours. Seul importe cet enracinement dans le lieu d’origine et la volonté, depuis cet atelier qui fut celui de son père, d’être pierre angulaire, foyer d’idées

originales et de projets fous, menés par des camarades qui passent ou restent et palabrent sans fin, adonnés à des enjeux créatifs qui rayonneront sur la région et au-delà.

J’évoquais Duchamp et les dadaïstes. Trouvera-t-on que c’est un peu exagéré? Peut-être! Mais, dans les deux cas, il y avait une volonté d’éliminer toute différences de statut et de valeur, qui pourraient exister, entre la vie et l’art. Soit que celui-ci devienne ce qui fonde et entrelace la vie même; soit qu’en son cours le plus ordinaire, on trouve des perles qu’on ne discernait pas faute de bien savoir regarder nos entours. Le petit cénacle à qui on doit la présente exposition, avec Pierre Bourgault à sa tête, a retenu ces deux leçons et Salissures en témoigne.

En guise de finissage, les artistes Gwenäel Bélanger, Marie-Ève Charron, Gentiane La France et Anne-Marie Proulx seront présent.e.s à la galerie samedi prochain le 16 décembre 2023, de 14h à 17h. Passez discuter avec eux!

Vue de l’exposition Salissures, photo: Normand Rajotte

Pierre Bourgault (avec Gwenaël Bélanger, Marie-Ève Charron, Gentiane La France, Anne-Marie Proulx). Salissures, Occurrence, du 1 0 novembre au 16 décembre 2023