LITTÉRATURE: La passion des éditrices

Leur maison d’édition littéraire a moins de 10 ans. Nous avons demandé à trois éditrices pourquoi se lancer dans l’aventure à une époque qui carbure aux opinions à l’emporte pièce et aux 280 caractères/message? Beaucoup de passion, répondent Geneviève Thibault, Annika Parance et Felicia Mihali.

De nos jours, se lancer en édition littéraire demande beaucoup de passion et un brin de folie. Les 3P aussi: patience, persévérance et persuasion. Les nouvelles maisons d’édition ne sont subventionnées au fonctionnement que l’année suivant une 17e publication. La règle est en cours de modification, mais d’ici là, disons-le, c’est la galère!

« Il y a une persévérance phénoménale de la part des éditeurs pour publier et arriver à en vivre. C’est comme une espèce de vocation. On travaille comme des forcenés et on en vient à ne faire que ça dans la vie », lance la directrice du Cheval d’août, Geneviève Thibault.

Geneviève Thibault – Le Cheval d’août

Avant 17 titres annoncés et publiés, les nouveaux éditeurs sont financés au projet, ce que la directrice du Cheval d’août – maison qui a presque six ans – qualifie de « très longue résidence en médecine ». La subvention pour éditeur professionnel au fonctionnement, d’ailleurs, n’arrive que l’année d’après.

« On est alors tentées, ayant le vent de face, de forcer la publication d’un titre, même si on sent qu’il n’est pas tout à fait prêt. Il faut savoir attendre un livre. »

Elle est d’avis que le fait que ce soit des femmes qui ont lancé de nouvelles maisons d’édition ces dernières années est très éloquent. L’équité femme-homme dans le livre (c’est-à-dire ici un traitement égal pour toutes et tous) est loin d’être atteinte. Double standard ?

« Il y a très peu d’héritières éditrices ou profitant de structures établies au Québec. C’est admirable le fait qu’il y ait des femmes éditrices qui réussissent à imposer un catalogue. C’est encore un capital symbolique de femmes qui reste à travailler, d’autant plus qu’on reçoit plus de manuscrits d’autrices que d’auteurs. Les éditrices ont besoin d’aide. Il n’y a aucun mécanisme qui nous favorisent dans notre industrie. « 

En plus de l’édition des livres comme tel, les nouvelles éditrices travaillent toujours presque seules et doivent donc également œuvrer à la promotion, traduction et vente de droits.

 » J’ai envie d’être créative, de développer des collections, de tout faire pour que nos fictions puissent rayonner dans le monde. Des projets qui passeront aussi par l’agrandissement de l’équipe du Cheval dans la prochaine année, explique Geneviève Thibault. J’ai le poids de toujours trancher et prendre les décisions. Et ce n’est pas toujours populaire le leadership de femmes. »

Son rêve?

 » Voyager et faire voyager nos livres. Pour voir ce qui se fait ailleurs, aller à la rencontrer des autres.  »

Annika Parance – Annika Parance Éditeur

Avant de commencer à éditer de la littérature il y a sept ans – avec L’inédit de Marie Cardinal -, Annika Parance avait fait paraître plusieurs livres médicaux, une étape qu’elle dit complètement derrière elle maintenant.

« Un agent m’a approchée avec des archives de Marie Cardinal dont ses filles Alice et Bénédicte Ronfard ne savaient plus trop que faire, raconte-t-elle. J’ai travaillé cinq ans là-dessus. C’est comme le doctorat que je n’ai jamais passé. C’était mon école en littérature. »

Après ce départ canon, suivront deux romans en 2012 et 2016 de Juan Joseph Ollu (Un balcon à Cannes et Dolce vita), deux livres chacun aussi de Mario Cyr, Stéphane Lefebvre et Vincent Giudicelli. Comme beaucoup d’éditeurs, nouveaux et anciens, Annika Parance est fidèle à ses écrivains qu’elle défend becs et ongles.

« Je travaille fort avec mes contacts français pour publier les auteurs québécois là-bas. Vincent Giudicelli y est déjà à notre enseigne. Il me fait beaucoup penser à Philippe Djian. »

Annika Parance avait travaillé auparavant dans des maisons d’édition en France et ici, dont 15 années chez Maclean-Hunter. Mais, en bonne lectrice, c’est toujours la littérature qui la passionnait. 

« J’ai créé une maison chez Maclean-Hunter qui avait un très grand vivier d’auteurs en français et en anglais. J’en ai publié une trentaine, mais je voulais aller plus loin. J’ai travaillé chez Libre Expression, Hurtubise, puis, je me suis lancée sur des livres médicaux avec un ami médecin, mais je rêvais toujours de littérature. »

La vie d’éditrice, malheureusement, l’éloigne souvent de la lecture, dit-elle. Papiers, formulaires, négociations, contrats… Comme Geneviève Thibault et Felicia Mihali, elle fait tout… pratiquement toute seule. Elle est également d’avis que ce sont des femmes persévérantes qui se retrouvent à la tête des nouvelles maisons parce que, résume-t-elle avec humour, « ce n’est vraiment pas de la rigolade »

Son rêve?

« Je veux réunir dans un lieu des gens qui ont quelque chose en commun. Les auteurs comme les illustrateurs et éditeurs, sur une façon de voir le monde. Je crois que bientôt, on va se regrouper les êtres humains parce que ce qui se passe nous polarise tous trop en ce moment.  »

Felicia Mihali – Hash#ag

La maison d’édition Hash#ag est le dernier-né des maisons d’édition littéraires au Québec. Publiée ailleurs depuis des années, la romancière Felicia Mihali la dirige depuis le début.

« L’idée de départ était de publier des traductions d’ailleurs, dit-elle. On le fait peu au Québec, que ce soit des pays de l’Europe de l’est ou même de l’Espagne, d’Italie ou du Portugal. C’est un trou noir. »

Mais Hash#ag est rapidement devenu également une maison soutenant des auteurs néo-québécois, « des minorités invisibles, mais audibles » comme dit l’éditrice. Un endroit ouvert à tous les genres, que ce soit l’essai, la poésie ou la nouvelle.

Felicia Mihali

« Je veux encourager toutes les diversités pour nous parler de leur vision de ce qu’on vit ici comme immigrant. L’auteur Mattia Scarpulla [originaire d’Italie] par exemple, est un auteur merveilleux qui vit une expérience magnifique d’immigration au Québec. C’est vrai qu’il existe des problèmes, mais ce n’est pas toujours négatif l’immigration. »

Encore poupon, Hash#ag se veut, en fait, une maison ouverte à toutes les minorités visibles et invisibles.

« Ce sont aussi les minorités trans pour nous. Ce ne sont pas les immigrants qui ont le monopole de la discrimination. Je suis très heureuse d’avoir des auteurs comme Sébastien Émond et Laurence Caron-Castonguay. Ce n’était pas prévu au début, mais je suis ouverte quand j’ai un bon manuscrit entre les mains. »

Son rêve?

« La passion m’anime. Elle me tient en vie. Je crois que les nouvelles maisons d’édition peuvent faire une différence. Nous posons des briques dans le grand mur de la société québécoise. On va continuer à faire beaucoup de traductions allant dans ce sens-là. »