
Valérie Roch-Lefebvre a écrit un premier roman magnifique, Bannie du royaume. Dans un style singulier, l’autrice explore l’intimité de trois générations d’une même famille. Ce n’est pas qui est quoi ou même le comment qui importe dans cette belle réussite littéraire, mais le regard et les mots pour le dire, ainsi que l’écoute empathique que porte la romancière aux uns et aux autres.
Il y a un « je » presque invisible dans Bannie du royaume. Un « je » qui n’insiste pas, s’efface souvent, ne s’apitoie jamais. Il revient à intervalle plus ou moins régulier, mais ne se donne jamais une importance plus grande que ce que vivent les autres personnages du roman.
Valérie Roch-Lefebvre témoigne. Pas vraiment comme journaliste ou documentariste, mais comme une sorte d’ange des âmes. Les mots sont importants ici. Ils ne sont jamais approximatifs. L’autrice les utilise savamment en évitant de juger ou de rabaisser. Les mots révèlent et cachent tout à la fois. C’est ce qu’on appelle de la littérature.
Parmi les personnages auscultés par la narratrice, on connaîtra, entre autres, le père « beau et fragile », feue la grand-mère Jeannine, le renfermé grand-père Maurice, la tante profondément blessée Sylvie, le coincé oncle Mario et la généreuse tante Isabelle. Ils ont erré entre le Saguenay et la banlieue de Montréal, sans nulle part se délester du mal qui les habite.
« Les rumeurs l’habillaient telle une deuxième peau, invisible et brûlante. »
Valérie Roch-Lefenvre ne prend pas ses lecteurs pour des enfants d’école. Le portrait, la généalogie, la chronologie, elle laisse ça aux autres. On tissera nous-mêmes les fils narratifs dans un dédale habilement dessiné. Et c’est bien ainsi.
Évoquant ceux de la mémoire, l’autrice laisse des trous volontairement sur le chemin qu’on suit pourtant facilement. En dehors des « je », les « il » et « elle » sont parfois imprécis. Cette brume et ces nuages sont dans la tête des personnages. Dans cette forêt des mal aimés, la lecture de Bannie du royaume devient alors une véritable aventure.
La langue est bellement imagée. Valérie Roch-Lefebvre est une adepte des phrases sujet-verbe-complément, ce qui occulte habilement la complexité du sens. Les chapitres courts représentant des épisodes complets selon le point de vue des divers membres de la famille. C’est un regard franc ou oblique, souvent direct, toujours perçant.
Maladie mentale
Annoncée comme thématique, la « maladie mentale » ne s’inscrit ici qu’en filigrane. Des mots comme dépression et maladie sont lancés sans leur expression tragique. On peut parler plutôt de la beauté comme d’une maladie, celle qui cache des douleurs plus profondes, des êtres plus fragiles qu’il n’y paraît.
Les personnages de ce livre fascinant, liant beauté et « folie », font penser à La belle bête, le tour premier roman de Marie-Claire Blais. Une écriture qui peut sembler froide, mais qui procède aussi de fulgurantes images poétiques.
« La maladie a toujours été là, comme un vide découpé dans la nuit »
On est devant une grande autrice en devenir. Une romancière au style unique qui peut sembler difficile à saisir, mais qui est constant, possédant sa propre logique. Valérie Roch-Lefebvre écrit pour les gens qui aiment lire, dirait Élise Turcotte. Cela commence à devenir, malheureusement, une denrée rare.
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Valérie Roch-Lefebvre
Bannie du royaume
La Mèche
167 pages