LITTÉRATURE: Post-vérité incendiaire

Pour contrer la désinformation ruminée par les déclinistes, l’auteur Alain Roy, directeur de la revue L’Inconvénient, oppose des statistiques éloquentes. Peut-on faire quelque chose d’autre face aux « détenteurs » de la post-vérité?

Les déclinistes dont il est ici question, ce sont ces gens qui ont adhéré à cette théorie, maintenant relativement normalisée en France, du « grand remplacement », Quelle est-elle, cette théorie? Bien, c’est cette idée selon laquelle il y aurait à l’oeuvre, sous l’apparente innocence des migrations des pays, arabes et musulmans pour la plupart, une sorte de complot qui verrait à submerger la France de ces nouveaux arrivants de manière à envahir et, on le comprend bien, subvertir le pays. Celui-ci deviendrait dés lors autre que ce qu’il a été de tout temps et de toute éternité. Cette douce France amorcerait donc son déclin.

Cette théorie a d’abord été lancé par Renaud Camus en 2010. Elle a depuis été reprise par des gens tels qu’Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, Mathieu Bock-Côté, Michel Onfray et mis en fiction par Michel Houellebecq. Chacun, à sa manière, fait un peu de kilométrage sur cette voie toute tracée.

Tout l’effort d’Alain Roy est de démontrer que l’idée repose en fait sur une sorte d’enflure verbale alimentée par une frustration rageuse. Cette crainte à l’effet que la France n’appartienne plus, bientôt ou déjà, ce n’est pas clair, aux bons Français de souche, est une chose qui semble bien plus vivre dans l’esprit de ces gens que dans la réalité tangible. À cette inquiétude, Alain Roy répond par des chiffres. De ces données que ces déclinistes semblent vouloir passer sous le tapis. En date de 2020, ce sont 10,2% de la population française qui provient de l’immigration. Il n’y a là pas de quoi s’effrayer d’un possible renversement politique.

C’est pourtant ce que fait Michel Houellebecq dans son roman de 2015, Soumission, alors qu’un candidat musulman se faufile, fragmentation du vote oblige, jusqu’à la présidence de la France. Du coup, tout le pays s’islamise rapidement, et sans trop de heurts, finalement, comme s’il était prêt à la chose. On se demande évidemment comment cela pourrait être possible et le tout semble plutôt une opération un rien scabreuse pour mousser la réputation du romancier et les ventes de son roman.

C’est que la peur semble tenace et bien ancrée, grâce à ces incendiaires, dans les mentalités. Quant aux chiffres, ces idéologues n’en ont cure. Ils s’en passent allégrement, et n’y font allusion que pour dénigrer leurs valeurs, comme ils le font avec les sciences sociales qui les fournissent.

On l’a compris; on est dans l’ère de la post-vérité.

Convaincus-sans-preuves

Pour arriver à convaincre sans ces appuis, il faut donc s’entre-légitimer et s’entre-congratuler. Ce que ne se privent pas de faire ces convaincus-sans-preuve. C’est dans un cercle restreint, mais qui s’agrandit, qu’on se cite entre nous, créant ainsi l’illusion de références intellectuelles, alors que les bases même du raisonnement sont bien peu solides.Il n’y a pas que cela à l’oeuvre dans ce type de discours.

Les auteurs y vont souvent de déclamations péremptoires, en paraphrases non assignées, donnant des allures d’évidence à ce qui n’est pas prouvé et se manifeste avec de l’emphase et du flou, rendant difficile toute critique de leurs positions. La somptuosité du dit ne s’embarrasse d’aucune autre validation sinon cette confrérie de pensée entre pairs vénérables. Encore une fois, point de chiffres comme de solution réelle et nuancée; que de la grandiloquence!

En fait, une évidence s’impose bientôt. On a là un discours réactionnaire qui cherche sa légitimité en circonscrivant un ennemi déshumanisé, oubliant que l’expérience d’immigration est plus difficile à vivre pour celui qui arrive que pour le pays qui accueille. On ne trouvera donc pas, en ces écrits et autres manifestations déclinistes, d’empathie à l’égard de ces gens qui ne sont, dans leur perspective, que de potentiels envahisseurs complotant une sédition à l’échelle nationale.

Il me semble qu’on entend de plus en plus, en Europe comme ici, ce genre de discours. Voyons là, sans doute, une réaction d’occidentalocentrisme. Elle provient de ceux qui craignent pour la grandeur de l’Occident et qui réagissent par la vindicte à ceux qui voudraient les voir culpabiliser pour sa domination passée et ces biais idéologiques. Foin, donc, de ces idéologies antiracistes, décolonialistes, de ces wokes, ces women studies, ces black studies, etc!

Pourtant, le « grand remplacement » a bel et bien eu lieu, ici. On a appelé cela la « découverte du Nouveau Monde », un autre nom pour « colonisation ».


Alain Roy, Les Déclinistes, Montréal, Éditions Écosociété, Collection Polémos, 2023, 152 pages.