
En toutes lettres poursuit sa quête de poésie avec Maude Veilleux. Poète et romancière, elle a également participé à de nombreux ouvrages collectifs. Le poème de la semaine est tiré de son recueil Une sorte de lumière spéciale, l’un des meilleurs de l’année 2019.
Trash : On m’a dit qu’on me trouvait trop trash pour participer à un projet. Trash, of course. Trash comme Dorothy Allison dans le fond de sa campagne et de sa pauvreté : Trying always to know what I am doing and why, choosing to be known as who I am – feminst, queer, working class, and proud of the work I do – is as tricky as it ever was.²
« Genre qui évoque une vie et des valeurs liées à un monde glauque, comme la saleté, le sexe malsain, la toxicomanie et la violence. » Je comprends qu’on puisse qualifier mon travail de trash. Je suis juste annoyed qu’on n’arrive pas à le replacer dans une histoire littéraire liée à des conditions sociales.
quand on me dit que je suis trop trash
on me dit que mon trop peu de capital culturel
que mes manières de fille de la beauce
que ma jeunesse à servir de la bière
à des monsieurs cassés en deux par la vie
que mon expérience du réel ne vaut rien
of course que ça ne vaut rien
of course que je suis trash
je m’appelle maude veilleux veilleux
veilleux ma mère
veilleux mon père
je ne bois jamais de negroni
mes papilles n’ont pas développé d’intérêt pour ce goût
j’aime juste les huîtres en canne pis le thé trop infusé
je parle de ma chaise de pauvre
ma chaise dans mon garde-robe
assise juste à côté du chauffe-eau
Trash is politic. Pas juste une esthétique pour faire cool. Si on a l’air d’une gang de toxicos, c’est peut-être aussi parce qu’on vient de milieux pauvres. Qu’adolescent.es on a commencé à s’automédicamenter parce qu’il n’y en avait pas des psys dans nos écoles de région.
Et, on est des poètes.
Of course qu’on est des poètes. On n’a rien d’autre. Notre seul name tag. Rien d’autre pour se péter les bretelles avec.
Tu veux nous enlever notre légitimité. Tu fais comme on m’a toujours fait, tu fais ce que les bourgeois font, tu me dis d’arrêter de parler. De ta chaise, peut-être que d’essayer de changer les choses, ça sert à rien parce qu’anyway tu vas pouvoir continuer à boire tes negronis et passer tes étés au bord d’un lac, mais pour moi ç’a jamais été comme ça. Si je suis sortie de la Beauce, des bars, c’est pour être poète.
Puis à la Foire agricole de St-Honoré-de-Shenley, quand Alexandre Dostie gagne le premier prix du concours de talents, et que le lendemain les gars de la scierie débarquent au stand de l’Écrou pour acheter des livres, je sais que notre parole est importante et que notre poésie de rend là où elle doit se rendre.
² Skin, Dorothy Allison.

Maude Veilleux sort les poubelles, trash en anglais. Dans sa quête de sincérité qui a des airs d’absolu, elle fait le ménage, n’oublie rien, et repasse trois fois au cas où pour s’assurer que tous les préjugés, les snoberies (mot non valide au Scrabble) et les mensonges finissent dans le caniveau.
Trash est un poème-essai, une chemin de plus en plus empunté par celleux qui se font plus souvent qu’autrement seul·e·s leur place. Ces poètes sont à L’Écrou et ailleurs, surtout ailleurs à l’avenir. Mais ces voix émergentes continuent de naître et d’essaimer pour le plus grand bien de la littérature québécoise et tous·tes les cassé·e·s en deux par la vie. C’est politique, comme l’écrit Maude V Veilleux. C’est nécessaire, ajouterons-nous.
La poète manie habilement l’ellipse, comme pour exprimer les chocs surprenants de la vie, et un certain humour très noir – comme dans jarrets noirs – pour parler d’où elle vient, qui elle est. Mais aussi pour dire qu’elle n’est pas seule, même si elle se remet toujours en question. Sa maison, ce sont les livres. À les lire, les rêver et les écrire, ça veut dire qu’on se retrouve nombreux finalement à chercher les sorties de secours. Il y a là l’expression d’une compassion qu’on retrouve chez Josée Yvon. Comme l’immense disparue, Maude Veilleux fouille le trash, surtout pour comprendre.