THÉÂTRE: Québec mort ou vivant

Dany Boudreault, Stéphie Mazunya et Marie-Hélène Thibault, photos: Bruno Guérin

Les régions du Québec inspirent. Le Théâtre PàP et le Festival du Jamais Lu y croient. Le PàP met en ligne, jusqu’au 2 mai, les moments marquants des trois premiers épisodes de son projet de recherche théâtrale Radio-Ressources usant de tables rondes virtuelles sur les réalités du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de la Côte -Nord et du Bas-Saint-Laurent. De son côté, le Jamais lu innove en créant une version mobile qui offre le porte-voix à des auteurs de quatre régions : Abitibi-Témiscamingue, Estrie, Gaspésie et Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Les régions du Québec ne sont pas mortes, loin de là. C’est davantage notre regard et nos actions d’urbanocentristes, vampirisant leurs richesses humaines et naturelles qui les asphyxient. Dany Boudreault, Stephie Mazunya et Marie-Hélène Thibault, trois des membres de l’Ensemble, la troupe du théâtre PàP de Patrice Dubois et Julie Marie Bourgeois, expliquent que leur attitude a changé depuis qu’ils étudient et se documentent sur les « régions ».

Sans être devenu·e·s des recherchistes ou des documentaristes pour autant, avec Radio-Ressources, il et elles disent comprendre beaucoup mieux désormais les subtilités de la vie excentrée.

Marie-Hélène Thibault

« On travaille en ce moment sur la Mauricie, d’où je viens, note Marie-Hélène Thibault, où on va aborder les enjeux de la forêt. On entendait un scientifique à propos de la tangente prise par le gouvernement dans ce domaine et j’y apprends des choses que je n’aurais jamais sues. Ce n’est pas facile d’ajuster notre regard de Montréalais face aux régions, mais c’est quelque chose qui devra changer à l’avenir. C’est plus compliqué qu’un affrontement entre des groupes écolos et des industries. Il y a des travailleurs dont la vie dépend de leur emploi forestier. Heureusement, il y a partout de nouvelles initiatives montrant que les régions ne sont pas que des ressources où l’on ne va que piger au profit des grands centres. »

« Dans la plupart des régions, ajoute Dany Boudreault, on s’aperçoit qu’il y a une tension entre l’industrie et les forces progressistes. On a beau arriver avec notre vision soi-disant progressiste, on est aussi prisonniers de notre vision préalable. Il faut donner la voie à tout le monde pour s’assurer de la justesse et de l’ampleur du débat. Quand on travaille avec les gens, il faut être capable de faire notre propre autocritique. Il ne faut pas être surplombant avec eux. »

Originaire de Gatineau, Stephie Mazunya note qu’elle ne connaissait rien du travail de recherche avant de se joindre au projet.

« Dans tout ça, il me fallait trouver quelque chose de plus sensible, dit-elle. On est beaucoup entré par les textes dans les régions. On a beaucoup lu et personnellement Stéphanie Pelletier du Bas-Saint-Laurent m’a touchée. On a échangé une correspondance durant laquelle elle m’a fait connaître intimement sa région. On était très conscients de notre posture de Montréalais en débutant ce projet. Par exemple, on ne parle pas qu’aux gens qui ont la même opinion que nous. »

Créativité

Jusqu’ici, COVID oblige, la troupe a donc œuvré par l’entremise d’une table ronde virtuelle pour s’entretenir avec celles et ceux qui font que les régions débordent de créativité. Les gens qui y habitent sont de parfaits généralistes qui, souvent, militent, en plus de pratiquer leur métier et d’assister, notamment, aux réunions municipales.

Ces gens ont des noms comme la cheffe Colombe Saint-Pierre ou l’agriculteur Donald Dubé qui défendent le projet d’autonomie alimentaire au Bas-Saint-Laurent. Il y a également les enseignant·e·s de la langue innue dans la communauté de Pessamit sur la Côte-Nord ; ou les leaders de démarches citoyennes visant à protéger les rivières du nord du Saguenay-Lac-Saint-Jean. 

« On a parlé à plein de gens qui posent des gestes, font des actions, explique Stephie Mazunya. Je crois que les régions sont parfois un peu infantilisées puisqu’on prend trop de décisions pour elles. Le pouvoir est trop éloigné pour qu’elles puissent se sentir autonomes et assumer leurs propres décisions. »

Dany Boudreault va plus loin en critiquant le fait que, selon lui, le gouvernement agit seulement comme « un gestionnaire à la merci des multinationales ». En région, le Québec duplessiste serait still alive and kicking ? « De vieilles habitudes », enchérit d’ailleurs Marie-Hélène Thibault.

En même temps, le Théâtre PàP possède cette distance qui permet l’analyse à froid et une vision globale des problèmes, non?

Dany Boudreault, photo: Valérie Hénault

« On a rencontré récemment la professeure et auteure Dalie Giroux, explique Dany Boudreault, qui a beaucoup stimulé notre réflexion. Elle dit qu’on partage tous une certaine humanité et que tout le monde a le droit de parler. Comme artiste, je trouve ça troublant, parce que j’ai fait des spectacles qui ont plus tourné en Europe qu’au Québec. Sans critiquer les diffuseurs, il faut dire que notre réseau de tournées est beaucoup trop compliqué. On habite un pays en silos. »

En travaillant beaucoup à La Licorne, Marie-Hélène Thibault a, par contre, pu jouer davantage un peu partout au Québec. « C’était une grande volonté de Jean-Denis Leduc, dit-elle. Le PàP, aussi, a envie de faire de tels partenariats, voire même d’aller plus loin en restant sur place un peu plus longtemps. C’est à l’origine du projet. »

Une pièce éventuellement

L’idée du PàP est de semer un arbre qui va croître, grand et fort. La troupe continuera de travailler avec ses partenaires régionaux. Elle sera en résidence de création d’une semaine à Gaspé au mois d’août. Une pièce de théâtre est prévue dans ce parcours original.

« Sans rien divulgâcher, il y a une base de travail sur laquelle on pourra créer la pièce, dit Dany Boudreault. Il y a un lien entre notre répertoire au PàP, notre parole théâtrale et des fenêtres sur des citoyens·nes et les paroles entendues. Une chose est sûre, nous ne sommes pas homogènes, mais on reprend contact avec la nature du Québec en voulant changer le « récit » qu’on a construit sur les régions. »

Comme il ne s’agit pas de théâtre documentaire, mais documenté, le spectacle se construira aussi avec le regard subjectif des membres de l’Ensemble.

« Ça parlera de nous aussi, croit Stephie Mazunya. Dire qu’on parle d’eux, c’est encore prendre une posture plus élevée. On a tous et toutes des contradiction, les gens, les artistes. On ne peut pas parler des régions non plus comme d’une globalité. Il faut aller voir dans chacune d’elle pour connaître les modes de survie de chacune et les comparer aux nôtres. »

Les prochains arrêts de l’Ensemble seront effectués en Gaspésie le 16 avril et en Abitibi-Témiscamingue le 19 mai. La Mauricie suivra un peu plus tard.

Infos: https://theatrepap.com/saison-2020-2021-2

Patrice Dubois, Dany Boudreault, Ste^phie Mazunya, Marie-Hélèbe thibault, Laurence Dauphinais et Harry Standjofski, photo: Bruno Guérin


Jamais lu mobile

L’initiative du Festival du Jamais lu procède d’une ouverture semblable envers les régions en instaurant son premier événement mobile. Cette antenne interrégionale va à la rencontre d’auteurs et d’autrices provenant d’Abitibi-Témiscamingue, de l’Estrie, de la Gaspésie, et du Saguenay-Lac-Saint-Jean du 14 au 17 avril prochains.

L’apnée du soleil de Jean-François Aubé. De gauche à droite: Hubert Lemire. Catherine De Léan , Hubert Proulx et Eudore Belzile. Photo: Jamais Lu

Le Festival du Jamais Lu Mobile présentera quatre textes inédits sous la forme d’œuvres audio réalisées par Laurier Rajotte. Prenant la forme d’un festival numérique en raison de la pandémie, le Jamais lu mobile se déroulera, cependant, sous la forme d’écoutes collectives virtuelles et en salle, dans les différentes régions associées, rencontres suivies de discussions entre l’auteur et le public.

Les festivaliers entendront ainsi : Un coin jeté dans l’Nord d’Alexandre Castonguay et Nicolas Lauzon dans mise en lecture de Sarah Berthiaume ; L’apnée du soleil de Jean-François Aubé mise en lecture par Eudore Belzile ; Lau de Marie-Pierre Audet dans une mise en lecture de Frédéric Blanchette ; et À demain Moïra d’Anick Martel, mise en lecture par Marie-Ève Milot. Les distributions comptent, entre autres, sur des interprètes comme Catherine De Léan, Hubert
Lemire, Hubert Proulx, Marie-Claude St-Laurent, Guillermina Kerwin, Stephan
Allard, Alexandre Bergeron, Sasha Samar, Marianne Dansereau et Marie Bernier.

Le Jamais lu mobile est gratuit. Le public est invité à réserver sa place sur le site
du Jamais Lu et sur les évènements Facebook créés pour l’occasion. Les spectateurs·trices recevront un billet virtuel : soit un lien vers la plateforme d’écoute collective ou alors un accès à l’évènement aux différents centres culturels associés.

Infos: jamaislu.com


Lau de Marie-Pier Audet. De gauche à droite: Marie Bernier, Frédéric Blanchette et Laurier Rajotte, photo: Jamais Lu