
Court et dense, le plus récent livre de Mahigan Lepage s’ancre dans la dignité de ceux et celles qui ont voyagé, vécu et se sont installés en pays de Matapédia. Nouveaux arrivants et longtemps arrivés se collettent et se solidarisent. Quelque chose de grand dans ce Peuplement. Comme un mieux-vivre ensemble.
Il y a de ces livres dont le titre et le descriptif créent des attentes. Vous ouvrez les pages et ce sur quoi vous tombez vous déconcerte. À tel point que vous ne vous y retrouvez pas tout de suite. C’est ce qui m’est arrivé avec Peuplement. Je ne m’attendais pas à cela. Aux courts chapitres tout d’une coulée, chacun consacré à un ensemble ou un jalon d’une chronologie de l’enfance; familiale, mais pas seulement. À cette sorte de cosmogonie personnelle. À ce souffle surtout, cette facture. Il a fallu prendre une pause, déposer le livre. Et reprendre plus tard. Il y a des moments où l’on ne se sent pas au diapason. Si déboussolé que rien ne s’inscrit en vous, ne vous parle.
Quand j’ai rouvert le récit, un déclic s’est produit et j’ai pu repartir au grand galop. Quelque chose s’est enclenché et ne m’a pas lâché.
C’est ainsi qu’il faut procéder pour faire l’expérience de cette histoire. Car le récit est court, mais dense et les personnages nous apparaissent sous l’angle d’une munificence que s’applique à leur donner l’auteur. D’emblée, les chapitres et paragraphes commencent par un qualificatif qui ennoblit chacun des protagonistes. Épique, lyrique sont de ces appellations qui permettent d’entamer le chapitre. Ils sont Géants, Titans; Héros sont, plus tard dans le livre, vers la fin, les enfants engendrés par ces êtres. Ce qui a commencé par la description d’une ascendance se termine dans les échos des rires des enfants qui ont habité les plateaux de la Matapédia.
C’est tout un coin de pays qui est ici dépeint. En plus d’une époque de retour à la terre des enfants de la fleur et de l’amour. Des gens ont baroudé un peu partout, sont allés à l’aventure dans l’ouest du pays : gens de la Gaspésie, du Saguenay et même de Montréal et de sa banlieue; puis, sont venus se fixer en ces régions un peu à part du monde. Ils y rencontrent des habitants qui les aident à s’acclimater, parce que désireux de ne plus voir s’étioler leurs villages. Ceux des communes et ceux des terres se voisinent, se collettent parfois, au figuré comme au propre. Entre les histoires de ceux qui sont là depuis toujours et celles des autres, arrivés sans expérience mais avec un tas d’illusions et d’idées différentes, c’est une pareille loufoquerie qui s’installe, une folie qui est celle du monde et des humains et qui les livre aux grandes excentricités.
Voilà l’univers, tel que Mahigan Lepage, dit ici Gangan, a pu le connaître et le vivre. Heureux Gangan qui a des telles racines. Heureux Mahigan qui vit maintenant dans la suite d’un tel début.
… et les dieux reviendront!
On pourrait suivre sans fin le souffle épique, ce ton de légende On s’enfermerait alors dans le temps de cette éloquence et du mythe et on ne sentirait pas que ce monde a un lien avec le nôtre. On le verrait lointain, sans commune mesure avec le nôtre; ni de ce temps, ni d’aucun. Mais le registre s’altère un peu. Un certain réalisme s’installe. Cette aventure, de retour rural, typique des années 1980, s’éteindra. Les jeunes ne resteront pas. La vie changera, les circonstances rendant la suite des choses difficiles, ardues, impossibles. Des unions se dissoudront. La solidarité s’émoussera et les villages se videront peu à peu.
Mais le rêve demeure et l’auteur voit dans ce que nous vivons aujourd’hui, une certaine renaissance des communautés, de la force du partage. Dans ce qui se trame de nos jours à l’horizon social, sous le coup d’une possible dissolution définitive du Grand Tout humain, quelque chose se ravive. Le monde n’est pas perdu. Pas encore, et il ressemble, par les espoirs de ceux qui l’habitent, à hier, somme toute.
Mahigan Lepage
Peuplement
Éditions Leméac, 2021
128 pages