
Sarah Berthiaume et Édith Patenaude revisitent le classique d’Arthur Miller, Les sorcières de Salem, en pensant à aujourd’hui. Aux femmes d’aujourd’hui. Écrite en 1953, la pièce contestait la chasse au sorcières du maccarthysme en se basant sur un événement s’étant déroulé plus de 250 ans auparavant. Les sorcières peuvent-elles encore voler ?
Toute création représente des défis, mais la traduction de ce classique américain nécessitait un savoir-faire particulier. Les sorcières de Salem d’Arthur Miller se veut un texte portant avant tout sur les fausses dénonciations d’abus sexuels. À l’ère #metoo, on pourrait penser « attention danger – missions impossible », mais c’était sans compter sur la poudre magique de la dramaturge Sarah Berthiaume et de la metteuse en scène Édith Patenaude.
Alors ouste, dehors les sorcières du passé!

Comment traduire et adapter cette pièce politiquement identifiée à une époque précise de l’histoire de nos voisins du Sud? Finalement, Sarah Berthiaume dit s’être tenue très proche du texte original.
« L’histoire reste entière. On ne pouvait pas faire autrement. C’est très bien construit. Ce que j’ai adapté c’est la langue. Je lui ai donné un coup de jeune pour s’approcher le plus possible de celle des interprètes. Le français normatif représentait un frein à la compréhension du public étudiant et même aussi des interprètes. »
Édith Patenaude ajoute : « Quand Miller a écrit ce texte-là, c’était la façon de parler des gens. Là, on est davantage dans le présent, avec les personnages. Le spectacle est esthétisé. Les costumes et les décors représentent un temps passé sans préciser lequel. »
Leur défi était de pouvoir intervenir dans le texte et la mise en scène pour éviter de donner le rôle trop facile de victime aux hommes. Les deux complices ont voulu utiliser le concept de la sorcière pour se l’approprier.
« L’image de la sorcière est un peu reprise ces temps-ci par les féministes et les écologistes, note Édith Patenaude. On voulait avoir un point de vue clair par rapport à cette image parce que la parole appartient aux hommes dans le texte. On a trouvé nos propres réponses. »
Sarah Berthiaume a d’abord cru utile de changer la fin, mais ce changement aurait nui à l’efficacité du thriller. La dramaturge a donc modifié son approche.
« J’ai coupé beaucoup de gras. Dans cet objet, on s’est demandé où inscrire notre point de vue. C’est un texte d’homme sur un héros masculin victime d’adolescentes qui font de fausses dénonciations. On voulait permettre un pas de recul. »
Déjouer l’idée originale
Il n’était pas question pour les deux créatrices de ne mettre l’accent que sur les fausses accusations, ce qui représente un phénomène marginal, comme on le sait aujourd’hui.

» J’ai fait des choix, souligne Édith Patenaude. Par exemple, on présente la danse dans la forêt qui n’est qu’évoquée dans la pièce originale. Comme on n’a pas la parole des femmes dans le texte, j’ai eu besoin de faire comprendre, à travers la physicalité, que leur niveau d’oppression est élevé. J’essaie de rendre perceptible ce qui est invisible : la solidarité des femmes, l’émancipation qu’elles explorent à l’extérieur de leur relations aux hommes, les pressions qu’elles subissent et leur besoin de dénoncer finalement. »
« On essaie de montrer le système d’oppression, qui est si violent, ajoute Sarah Berthiaume, fait en sorte que la seule façon pour ces jeunes femmes de sauver leur peau est de dénoncer et de créer un tribunal arbitraire, qui peut mener à des ratés, mais qui rend visible l’oppression et la violence dont elles sont victimes. »
Ces paradoxes sont présents dans le texte de Miller, poursuit Édith Patenaude : « Elle est difficile à percevoir la violence faite aux femmes dans ce spectacle. On aurait pu choisir de ne pas la présenter parce qu’on en a assez, mais on a pris la décision contraire pour que ce soit clair que c’est une critique que l’on fait et pour que le système soit exposé. «
Dénoncer ou pas? Juger ou pas? Aller jusqu’à mentir pour faire éclater le mal ? La pandémie a ajouté une couche de questions aux artistes qui ne voulait pas céder au néo-puritanisme ambiant.
« Le texte pose des questions, dit la dramaturge. Ce n’est pas tout blanc ou tout noir. Certains passages ont vieilli et d’autres n’ont pas pris une ride. J’ai ajouté des choses qui nous permettent de prendre la parole en quelque sorte. Le personnage de Tituba a la posasibilité de s’extraire du récit et de faire un commentaire sur celui-ci. Elle a le pouvoir de parler aux morts, mais aussi, dans notre pièce, de parler au présent que nous vivons. C’est notre magie de sorcière dans le spectacle. »

« Le texte est très fort, pense Édith Patenaude. Il comporte un pouvoir symbolique qui continue à se révéler de plein de façons aujourd’hui. Il s’agit de sujets infiniment délicats. On a l’impression de jongler avec des patates chaudes en travaillant. On se pose constamment des questions entre nous et avec les interprètes. La pièce est inconfortable par moment, mais on espère que ça va provoquer une prise de conscience et une réflexion. »
Ainsi, la metteuse en scène estime que les artisans d’un spectacle sont imputables face à la réalité et au présent où nous vivons. Selon elle, il était impensable de présenter Les sorcières de Salem sans procéder à une actualisation du propos.
« La fiction a un pouvoir magique. À force de répéter les mêmes histoires, on finit par croire qu’il s’agit du réel. On avait quelque chose à dire sur l’œuvre sinon cela aurait été trop inconfortable pour nous. «

Les sorcières de Salem est présenté au théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 27 novembre