ARTS VISUELS : Des vacances d’esthète !

Vue de l’Espace Roussil, Parc des Chutes de Rivière-du-Loup, Circuit Public’Art, Collection du Musée du Bas-Saint-Laurent

Il arrive qu’on prenne des vacances pour un peu décrocher de tout et qu’une part de ce tout se mette à nous poursuivre, l’art en l’occurence. C’est ce qui m’est arrivé dans mon périple jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine ! 

Évidemment, on s’y rend par étapes et c’est par là même que j’ai été piégé en quelque sorte. Notre premier arrêt a été à Rivière-du-Loup où nous attendait une petite randonnée, bienvenue après les heures de route et d’ankylose ! Le Parc des Chutes semblait idéal. Ce sont neuf kilomètres qui attendent les marcheurs. Mais ce n’est pas tout. À l’entrée se dressent trois sculptures que je n’attendais pas là, misère de moi!, et qui sont manifestement de la main de Robert Roussil. 

Voilà une initiative du Musée du Bas-Saint-Laurent, datant de 2013. En fait, il y en avait quatre au départ, mais une a dû être retirée, car elle s’était endommagée. Le Centre de conservation du Québec a recommandé qu’elle soit gardée en entreposage puisqu’elle réagissait mal à son nouvel environnement. Mais le marcheur amateur d’art y joindra là l’agréable à l’agréable ! Car elles sont majestueuses…

Puis, ce sont quelques journées de moins beau temps qui nous insufflent l’idée de visiter le Centre des arts de la confédération, à Charlottetown. On y présente Generations : The Sobey Family and Canadian Art, jusqu’au 10 septembre 2023. Parmi les œuvres qui nous y attendent, il y en a quelques-unes de Kent Monkman qu’on prend plaisir à reluquer car on n’en a pas toujours autant l’occasion. Mais cela s’accompagne tout de même d’autres de Borduas, de Riopelle, de Krieghoff pour en nommer quelques-unes.

Kent Monkman (b. 1965), Study for “mistikôsiwak (Wooden Boat People): Resurgence of the People,”
(Final Variation)
, 2019, acrylic on canvas, 107.3 x 213.4 cm, Collection of the Sobey Art Foundation,
© Kent Monkman

Îles-de-la-Madeleine

Les Îles-de-la-Madeleine, la destination finale de tout ceci, offrent bien des options à l’amateur d’art. Le Cirque Éloize y présente son spectacle sur un site en développement. La Maison Papier, tenue par l’artiste Maude Jomphe, attenante au Petit hôtel de la Montagne où nous résidions, présente, elle, des reproductions des artistes des environs. Julien Livernois y offre, ainsi que dans sa propre galerie-boutique, ses images prises de coques de bateaux de retour du large. D’autres verriers, sculpteurs et j’en passe! viennent compléter le tout. Pour chacun, créativité et innovation se rencontrent en leurs œuvres. Le touriste en rapportera des souvenirs tout ce qu’il y a de plus inédit.

Le Musée de la mer, sur la pointe du Chemin de La Grave, a réservé une salle à une exposition temporaire, mais tenue jusqu’en octobre, de l’artiste Annie Morin. Il y a quelque chose de brut et de fin la fois qui émane de ses pièces. On les regarde et cela évoque Jordi Bonet et Armand Vaillancourt. Il faut dire que la matière utilisée pour la plupart des œuvres montrées, assez massives et gigantesques dans le cas de certains est le métal. Sa présence est presque outrée et il est signifiant en tant que tel, semblant corrodé et rouillé. Il est vrai que des pièces sont le résultat d’un assemblage de morceaux récupérés. Marteaux, scies, boulons, écrous et autres trouvent ainsi leur place en des assemblages qui épousent la forme des végétations sous-marines.

Ce peuvent être des réservoirs d’eau chaude remaniés jusqu’à évoquer coraux et incrustations maritimes. Quoi de mieux pour illustrer le réchauffement climatique ! Sont rabattus l’un sur l’autre, en un travail d’ambivalente recréation, la cause et les effets. Il en va ainsi pour nombre des œuvres montrées. Rouille, corrosion, vieux outils, matières et objets récupérés se confondent en des constructions recréant des éléments naturels que leur omniprésence comme rejets, au final, menace dans l’écosystème, ici principalement marin. Il se pourrait bien qu’un jour, on en soit réduits à recréer artificiellement, avec les déchets issus de notre société de consommation, ce que ceux-ci auront contribué à faire disparaître. Voilà le paradoxe créatif, désespéré et désespérant, auquel Annie Morin s’alimente!

Vue de l’exposition Promenade au fond de l’océan, Annie Morin, 2023

Le plus déstabilisant là-dedans, c’est de voir une sorte de majesté inquiète sourdre de chacune des pièces! Micro-Macro en témoigne éloquemment! Ce mur d’une demi-tonne, formé d’écailles de poissons entrelacées, magnifique en ces effets moirés issus de fumée, est constitué d’anciens déflecteurs d’acier inoxydable en provenance des cheminées de la centrale thermique des Îles. C’est immanquable; on oppose la beauté imposante de la pièce au fait que ses éléments viennent d’une source d’énergie incroyablement polluante. Là, encore, le paradoxe créatif est au travail!

Si bien qu’on finit par se dire qu’Annie Morin doit bien être un avatar d’Antonio Gaudi, en version affligée!


Annie Morin

Promenade au fond de l’océanmai à octobre 2023

Musée de la mer, Havre-Aubert, Îles-de-la-Madeleine