FTA: 46 chromosomes

Tous des oiseaux est présenté jusqu’à lundi au Théâtre Jean-Duceppe

Tous des oiseaux, photo: Simon Gosselin

La nouvelle pièce de Wajdi Mouawad, Tous des oiseaux, est un grand texte interprété par de merveilleuses.x actrices.teurs dans une mise en scène dépouillée qui ne se risque jamais à venir embrouiller les enjeux complexes représentés. Un spectacle de quatre heures qui passe très vite, fort émouvant par moments et tout autant édifiant le reste du temps. Tous des oiseaux est une merveilleuse fable sur le pardon qui ne viendra pas consoler des hommes et des femmes obstiné.e.s, aveugles et sourds à la présence de l’autre.

Étudiants citoyens du monde, Eitan aime Wahida. Le premier est juif, la deuxième arabe. La famille d’Eitan se déchire au sujet de cette relation entre « ennemis », de cette guerre en devenir, de cet amour faisant fi de l’histoire et de la politique. Au-dessus du corps plongé dans le coma d’Eitan, victime d’un attentat en Israël, ses parents s’opposent violemment à sa relation amoureuse, alors que les grands-parents, détenteurs d’un secret inavouable, se montrent plus réservés dans leurs propos.

Livré en hébreu, arabe, allemand et anglais, Tous des oiseaux est déjà un texte qu’on aimerait lire tant il capte l’air vicié du temps présent au sujet des questions posées par la quête identitaire de tous et chacun dans le monde. Pendant la pièce, Wajdi Mouawad laisse au spectateur le soin d’y réfléchir en présentant le pour et le contre de ce besoin atavique d’affirmation et de repli sur soi qui ne jette que destruction et haine sur son chemin.

Qu’ils soient idéalistes, réalistes ou intégristes, les personnages ont tous leur part d’ombre, leur raison et leur déraison, et surtout, leurs contradictions. L’amour sans frontière, qui semble établir des ponts entre des positions contraires, saura-t-il faire oublier des millénaires de luttes fratricides entre les enfants de Sem? La nouvelle génération peut-elle changer le cours de l’histoire? La nécessaire sagesse des femmes saura-t-elle déboulonner l’aveuglement des hommes? Les relations filiales restent-elles les seules valides quand tout a explosé?

Wajdi Mouawad relance constamment le débat en faisant intervenir des personnages historiques ou en se rappelant des événements tragiques, comme le massacre de Sabra et Chatila en 1982. Le dramaturge et metteur en scène se repose sur un récit en spirale qui entraîne les camps « ennemis » dans autant de confrontations, que d’apaisements ou de nouveaux affrontements. L’utilisation de panneaux amovibles, de projections et une bande son parfois assourdissante nous disent que la vie n’est jamais à l’abri du chaos.

Le constat ne peut donc pas être être optimiste. L’histoire est là pour le répéter ad nauseam, même si les hommes sont de forts mauvais élèves. C’est vraiment à donner la nausée, par moments, mais le rire préserve quelques fois cet arc dramatique déjà tendu de se rompre. On pourra reprocher à l’auteur une mise en scène statique, mais l’important reste le texte et sa parfaite structure qui nous font oublier l’heure.

La poésie de Wajdi Mouawad fait le reste. Au-delà des notions de peuples, de nations, de pays, de frontières, de la présence de signes religieux ou non, tous les êtres humains possèdent les mêmes 46 chromosomes. Tous ces petits « oiseaux » continuent à se combattre, pourtant, au nom de la couleur de leur plumage.

On peut célébrer la différence, aller vers l’autre ou continuer de donner toute l’importance du monde à nos nombrils, doigts, sourcils pareils de génération en génération. Sur une planète qui ne cessera jamais de changer, où les hommes et les femmes migreront comme ils l’ont toujours fait, importe-t-il vraiment de savoir quelle est la race, le sexe, la religion, la nationalité, voire même l’histoire des vivants? Utopiquement, idéalistement, non. Tous des humains.

Wajdi Mouawad le dit encore mieux dans le programme: « La fixité identitaire est, me semble-t-il, la pire clôture de soi. Elles nous oblige à nous penser comme un centre autour duquel les autres identités se déploient… ». Pendant que des oiseaux de toutes les couleurs rient de nous.