LITTÉRATURE: La résilience de Serge Lamothe

Serge Lamothe, photo: Antoine Tanguay

Le neuvième roman de Serge Lamothe, Oshima, pressent le pire pour la planète. L’écrivain décode des signes dans la vie d’aujourd’hui qui pourraient nous mener en 2043, selon le livre, à une catastrophe socio-technologique imparable. Heureusement, qu’il y a et qu’il y aura toujours des humains de bonne volonté.

Serge Lamothe n’arrive pas à ne pas s’en faire. Devant les comportements des plus riches vis-à-vis la situation des plus pauvres, face à un environnement en chute libre et l’omniprésence des technologies, l’auteur d’Oshima voit les failles s’ouvrir. La vie après la fin du monde est un thème récurrent dans son oeuvre.

À la fin de Mektoub, son roman précédent, l’écrivain présentait déjà une section intitulée « Un futur conditionnel », une quinzaine de pages qui ont inspiré Oshima.

« Le monde va plus mal que dans le livre. L’an 2043, c’est demain matin. Les tendances à la radicalisation et les problèmes du climat vont s’intensifier. Je crois que mon roman est assez réaliste, même optimiste. En regardant de près, une tempête solaire de classe 10 pourrait tout arrêter sur terre. En quelques minutes: plus d’internet ni de communications, rien. En 2012, on est passé à deux doigts d’une telle catastrophe, selon la NASA. Essayer de s’en prémunir va être un enjeu important des prochaines années. »

Dans Oshima, à la recherche de ses racines, Akamaru, dit Aku, quitte sa mère et sa copine pour aller au chevet de son père mourant au Japon. Or, en raison de l’EGR (Effondrement global des réseaux), il n’y a plus rien d’électrique ou d’électronique qui ne fonctionne. De Paris, il devra emprunter une route minée, voire dangereuse, dans des pays où la barbarie a pris toute la place.

Épopée

C’est une épopée, un combat à finir, que décrit le romancier. Après un livre davantage axé sur l’intime, il avait envie d’émotions vives et de souffle épique. Histoire de mémoire, d’amour et d’amitié, d’un monde en déroute auquel des gens font face, main dans la main. N’en revient-on pas toujours là dans l’aventure humaine?

« Pour moi, il n’y a que deux thèmes majeurs: l’érotisme et la mort. Et on ne peut parler de l’un sans parler de l’autre. Ça fait partie des raisons pour lesquelles j’écrit. La première voie nous fait entrer dans le monde et, par la deuxième, on en sort. Entre les deux, l’amour, l’amitié, les rapports filiaux ou sociaux, ce sont des sous-programmes. »

Des sous-programmes qui renvoient aux préoccupations de tous, à savoir pourquoi est-on ici, pourquoi ici et pas là-bas, pourquoi avec ces gens plutôt que d’autres?

« Pour Aku, c’est vraiment difficile de trouver sa place dans le monde, mais il y arrive. Il sauve un petit garçon, Basu, qui s’attache à lui comme une puce à un chien. L’enfant lui sauvera la vie à son tour. Basu est un rayon de soleil dans le merdier immense que la terre est devenue. Avec son amour de jeunesse, Kohana, son père à elle et le garçon, Aku a le sentiment de reconstituer une famille. »

Les racines

La recherche d’Aku n’a rien d’un repli identitaire. Il s’agit d’une profonde introspection qui lui réservera, toutefois, des surprises. Sur sa route, il rencontrera plusieurs réfugiés, ce qui lui fera dire « on est tous des migrants ». Il est tout de même question de polarisation identitaire dans le roman.

« Au début, on quitte un Paris au bord de la guerre civile. La tendance actuelle est à la radicalisation. Qu’arrivera-t-il si les intégristes de tous les côtés se radicalisent encore plus? Dans 25 ans, Paris risque de ressembler à ça. »

Le récit trouve d’ailleurs sa résolution au Japon. Les cultures, orientale en général, et la japonaise en particulier, intéressent Serge Lamothe depuis longtemps, mais il n’avait presque rien écrit sur le pays du soleil levant. La partie japonaise est empreinte d’un retour à la simplicité.

« Oshima est une toute petite île. Quand Aku y arrive, pratiquement tous les habitants ont quitté. Il renoue avec une intimité qui contraste avec le voyage chaotique qu’il vient de faire. Ce contexte me permet d’aller dans ce mode de vie contemplatif, plus en paix avec l’ordre des choses, l’idée de la mort, la nature qui meurt et se renouvelle. »

« Il me semblait que ces myriades d’étoiles brûlaient dans la douleur et disaient l’amertume inscrite dans le cœur des hommes. Elles révélaient l’impuissance dont nous demeurions les otages et qui nous jetait dès la naissance dans l’incapacité de contempler cette simple réalité: nous étions la texture même d’un monde en quête de sa vérité.« 

Déchirements

Dramaturge et romancier entre autres choses, Serge Lamothe se fait davantage philosophe que poète dans Oshima. Ça lui est venu au fil de l’écriture. Il estime que la nature humaine se révèle dans les déchirements.

« On voudrait bien vivre dans un environnement idéal avec un travail, un.e conjoint.e et des enfants parfaits, mais ça doit être terriblement ennuyant. Je ne peux pas concevoir une vie comme ça. Les gens qui se construisent sans ne plus jamais se poser de questions, à un moment donné, explosent. Affronter les situations extrêmes, c’est la seule façon d’arriver à une paix intérieure qui n’est pas factice. »

Vu ainsi, est-ce qu’une panne mondiale des réseaux serait souhaitable pour retrouver le chemin du sensible?

« Non, répond-il, parce qu’il y a 450 centrales nucléaires en opération dans le monde. Sans électricité, ces centrales exploseraient à brève échéance. Les génératrices prendraient le relais, mais ce serait temporaire. Toute la planète se retrouverait contaminée avec le temps. Et qu’arriverait-il avec les 15 000 ogives nucléaires opérationnelles? Les solutions sont ailleurs. Il faut arrêter d’élire des gangsters à la tête de nos gouvernements. Il faut aller vite vers la décroissance et calmer nos ardeurs consuméristes. »

Et le bonheur et l’amour bordel?

« Aku dit dans le roman qu’il n’a jamais cru au bonheur, cette chose mielleuse et sirupeuse dont Hollywood nous nourrit à la petite cuillère. L’amour ça fait mal. Tu sais que c’est quelque chose que tu perds au moment où tu le vis. La sagesse orientale nous dit qu’on ne profite vraiment de la vie qu’en se détachant de nos désirs et d’un certain nombre de choses. La sérénité est au bout. »

.

Serge Lamothe

Oshima

Alto

286 pages