
Marcel Faulkner, l’auteur de FLQ – Histoire d’un engagement, a été un membre de la cellule Vallières-Gagnon. Arrêté en 1966, avec ses compères de l’époque, il revient sur cette expérience d’engagement et sur les raisons qui ont bien pu motiver les membres de sa génération à opter pour un militantisme aussi actif et à s’engager dans une voie qui, très rapidement par ailleurs, lui semble devoir le mener vers un dénouement qui l’inquiète.
Ce mois de novembre, 50 ans après les événements que l’on sait, devrait normalement signifier la fin des événements et des publications de toutes sortes sur le FLQ. Cette recension semble donc quelque peu se pointer à contretemps. Mais cela va bien à ce livre qui n’est pas de ceux qui offrent des révélations tant inédites sur cette crise de 1970.
En fait, lors de ce moment-clef de notre histoire, son auteur était emprisonné puisqu’il avait été membre de la cellule Vallières-Gagnon déjà démantelée à l’époque. On n’aura donc ici rien de bien croustillant à se mettre sous la dent. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne vaille pas la peine de livre cet ouvrage. Il est bien ce qu’il clame être, dès la page-couverture : l’histoire d’un engagement.
Sa force réside sans doute dans le fait de pouvoir refaire le portrait des années 60 qui donnèrent naissance au mouvement. Vous me direz que, cette histoire, on ne la connaît que trop bien. Je répondrais, en réalité, peut-être pas tant que ça! Cette période gagne à être revisitée, surtout quand on le fait accompagné d’un témoin privilégié. Plus que tout, celui-ci nous permet de voir les choses sous un mode différent.
D’ordinaire, le point d’orgue de toute histoire sur ces événements est évidemment les enlèvements de 1970 et leurs suites. Il est assez inattendu que cela ne soit plus le cas, que cet acmé soit en quelque sorte déplacé et que montée et descente dramatiques soient les versants de l’arrestation de l’auteur, à son grand soulagement, en septembre 1966. Si bien que, en ce qui le concerne, les événements de cet octobre chaud, il en observe le déroulement depuis sa cellule et leur seul effet sur lui, mais d’importance, c’est de nuire à sa possible libération conditionnelle pour bonne conduite.
Le système de justice ne voit pas comment il apparaîtrait compréhensible pour qui que ce soit, de libérer d’ex-membres du mouvement alors que ceux d’une nouvelle cellule se livrent à des crimes plus spectaculaires que jadis. Deux fois donc, on lui refuse ce que, en d’autres occasions, il mériterait et c’est en 1971 qu’il est finalement libéré. La réinsertion ne sera pas facile!
En fait, plus qu’une portion d’histoire du FLQ, c’est, comme l’indique le sous-titre, le récit d’un engagement. Ne voulant s’adonner ni à une « bravade militante », ni dans un « remords contrit », l’auteur cherche à comprendre ce qui pouvait composer l’essentiel de ses propres motivations.
En cours d’exercice, il en vient d’ailleurs à évoquer l’amateurisme de la cellule auquel il appartenait, la lecture erronée de la situation québécoise, présumée pré-révolutionnaire comme pouvait l’être Cuba, par exemple, les stratégies mal accordées à la réalité des travailleurs, le peu de contact réel avec ce peuple que les penseurs voulaient représenter, le défaut de solidarité à l’intérieur de la cellule et la concentration du pouvoir entre les mains des principaux représentants.
Présenté ainsi, cela semble un solide réquisitoire et on est surpris de lire plus loin qu’il semble encore difficile de pouvoir « porter un jugement sur l’action » du FLQ qu’il juge encore avoir été « un éveilleur de consciences » et un « accélérateur de l’histoire ». Reste que le démantèlement rapide et même expéditif de la cellule Vallières-Gagnon prouve bien que ces critiques sont fondées. Ce réseau n’était clandestin et cloisonné qu’en vœux et en paroles.
Les descriptions des intentions livrées par les membres les plus éminents, les leçons offertes pour veiller à la venue de cette révolution ont ainsi pu donner toutes les justifications nécessaires aux pouvoirs en place pour organiser la riposte lointaine que sera un jour la proclamation de la Loi sur les mesures de guerre. Tout cela pour une « insurrection appréhendée » qui serait menée par une poignée de révolutionnaires mal préparés et bien surveillés par la police! Mais ça, c’est une autre histoire…
Est bien rendu en plus le sentiment d’urgence qui pouvait habiter la génération d’alors, convaincue que la révolution était pour demain. Le Québec dans son entier leur semblait avoir un rendez-vous avec l’histoire et eux allaient lui permettre d’enfin adhérer pleinement à son destin.
On s’arrêterait ici que l’on ne donnerait pas un portrait bien net de ce livre. Certes, des anecdotes semblent parfois un peu de trop. Mais celles des rencontres de l’auteur avec les têtes dirigeantes de la cellule qu’étaient Pierre Vallières et Charles Gagnon sont à la mesure, je dirais, de notre propre malaise à nous, Québécois d’un certain âge, devant ces événements. Comme le sont aussi les récentes analyses de Jean-François Lisée, maître en astuces de tous genres, sur la mort, accidentelle ou non, de Pierre Laporte.
Je ne dis pas ici qu’il ait tort, mais je me demande s’il ne serait pas plus intéressant d’analyser notre propre propension à vouloir rendre ce meurtre le moins prémédité possible. Cette difficulté à assumer le potentiel de violence sourde, mais néanmoins réel, qui réside dans le fait de priver quelqu’un de liberté et de la menacer de mort, dans l’espoir que se lèvent les masses opprimées pour réaliser une révolution spontanée. Et sans violence aussi? À moins que cette violence possible du peuple ait représenté une sorte de tache aveugle, un impensé volontaire et une responsabilité niée qu’on ne voulait pas avoir à réellement assumer.
Tout cela nous éloigne un peu de la portée de ce livre et appartient à d’autres analyses qu’il faudra un jour mener. On pourrait penser, à lire ce texte, que l’auteur en reste là sur son expérience d’engagement. Tant s’en faut! Il livre quelques réflexions, bien menées et fort intéressantes, sur l’engagement d’aujourd’hui, moins univoque et total, mais mieux fondé. Non plus porté sur une « mystique de l’action » et sur un « devoir de sacrifice », moins envahissant surtout, celui d’aujourd’hui est distancié, mesuré, plus différencié et peut être ponctuel. Celui qui s’engage le fait en même temps qu’il demeure actif à d’autres niveaux au sein de la société et sans donc être en rupture de ban totale avec elle.
Il n’y a donc pas de désenchantement chez l’auteur mais une reconnaissance de ce qui a pu changer mais qui n’altère en rien la trame constitutive de tout engagement. Il est et « sera toujours un acte de foi en l’homme et en sa capacité d’agir, en même temps qu’il est la promesse d’un monde meilleur. »
Je ne crois pas pouvoir clore ce compte-rendu de manière plus décisive…
Marcel Faulkner
FLQ – Histoire d’un engagement
Éditions Fides
220 pages