ARTS VISUELS : L’engagement millénaire de Jessica Houston

  Jessica Houston, Letters to the Future – Antarctica, 3019 
Archival Digital Print 48 x 72“ (122 x 183 cms) 

L’exposition Letter to the Future | Lettre au futur de Jessica Houston, présentée chez Occurence, représente un témoignage engagée de l’artiste en faveur de la planète. Défiant le temps, il s’agit d’un geste artistique guidé par la science et l’engagement au service de la survie de l’humanité.

Ce projet, quoiqu’il s’inscrive dans la cohérence de la démarche de Jessica Houston, tranche tout de même quelque peu sur ce qu’elle a pu réaliser jusqu’à présent. De plus, on pourrait arguer que les regardeurs qui iront à la galerie Occurrence verront moins des œuvres que des témoignages d’une action qui dépasse le simple cadre artistique pour embrasser plus large. Les mondes trop souvent séparés de l’engagement politique et de l’investigation scientifique sont ici mis à contribution pour une intervention qui prend des airs de réflexion et de survie existentielles.

Les images, objets et bandes sonores ainsi exhibés témoignent en effet d’une action accomplie en Antarctique. Il s’agit de collaborer avec un glacier qui a recueilli en 2019 une capsule temporelle devant ressurgir, dans un futur dont on a identifié l’étendue. L’artiste a logé en ce contenant les lettres de personnalités de divers milieux.

Nul ne sait cependant ce qu’ont bien pu écrire, entre autres participants, la poète Anne Michaels, l’ex-président du Conseil circumpolaire inuit Okalik Eegeesiak, le physicien théoricien et auteur Carlo Rovelli, le compositeur Arvo Pärt, le politicien et écologiste Steven Guilbeault, et la philosophe post-humaine Rosi Braidotti. Sinon eux-mêmes! Dans le cadre de l’exposition, des reproductions photographiques des enveloppes de ces lettres sont encadrées, scellées et seule y apparaît la signature de l’expéditeur.

C’est évidemment une entreprise qui a nécessité une assistance importante. C’est à Alain Hubert, fondateur de la Fondation polaire internationale et opérateur de la station Princess Elisabeth Antarctic, la première station scientifique à zéro émission qu’est revenue la charge d’enfouir cet envoi dans la calotte glaciaire de la terre de la Reine-Maud. Il était difficilement envisageable que l’artiste puisse le faire elle-même, tant le site requis était reculé et l’opération, sensible.

Jessica Houston, Deployment ll (Inserting Letters in Ice) – Antarctica, 2019 (photo courtesy of Alain Hubert) Archival Digital Print 21.6 x 16“ 

Une sélection d’images et d’informations sur la capsule est ainsi offerte en galerie et nous donne une idée de ce qui a été réalisé. On y apprend que le cylindre renfermant et protégeant ces lettres est un container qualifié en termes scientifiques de Conductivity Temperature Depth (CTD). C’est une sonde d’ordinaire utilisée pour mesurer la conductivité, la température et la profondeur de l’eau. Alain Hubert et son équipe sont parvenus à calculer, à partir de projections et des caractéristiques actuelles du lieu d’enfouissement, que cette sonde émergera dans 1000 ans, après avoir été conduit par la glace à la mer.

L’exposition tient donc tout entière dans la description qu’elle offre de cette action. C’est en fait cette dernière qui est œuvre culturelle et artistique. Ce n’est pas dire que les images présentées, les images des enveloppes, le présentoir montrant le détail de ce container, ne sont pas en eux mêmes d’intérêt. Mais elles se montrent comme documents, comme les étapes vers un accomplissement dont on ne verra rien, qu’on ne peut qu’imaginer.

L’œuvre, sa performance, en est une de pérennité, d’enracinement dans le temps. Mais elle est aussi ce qui, en galerie, comme relevé de ce qui a été réalisé, s’offre comme un appel à être encore, à perdurer, au-delà d’un écart de temps difficilement envisageable, tant on ne dit que nos ressources s’épuisent. Il s’y manifeste une insécurité certaine, assumée. Mais un espoir aussi, puisque, par elle on envisage la possibilité que des êtres liront les lettres et prendront connaissance de ce que nous avons été. 

Jessica Houston, Deployment lll (Ice Hole with Letters) – Antarctica, 2019 
(photo courtesy of Alain Hubert, International Polar Foundation) Archival Digital Print 
24 x 36“ (61 x 92 cms) 

L’image qui m’a semblé la plus éloquente au sus de mon expérience de ce qui est présenté, est celle de la rampe de lancement. Je ne sais comment rendre cette forte impression pour qu’elle soit convaincante. Mais fort était en moi le sentiment de se trouver au pied du point de départ d’une expédition, avec des documents et des artefacts en montrant la teneur. Comme si se confondaient en ce même site de présentation le point de départ et celui d’aboutissement de toute l’entreprise.

Il est vrai que cette sorte de performance télescope les uns dans les autres des lieux et des temps lointains, nous faisant vivre en avance, ce qu’il pourrait en être de notre monde dans 1000 ans. Ce qui, peut-être, ne saurait être encore de nous comme espèce en cet horizon lointain. On peine à essayer de se projeter si loin, à se penser comme humanité dans ce futur aléatoire qui aura conduit Dieu sait où cette balise commémorative.

Vue de l’exposition Letter to the Future | Lettre au futur de Jessica Houston

Jessica Houston

Letter to the Future | Lettre au futur

Galerie Occurrence

6 mai – 12 juin 2021