
Le 22e Festival de la poésie de Montréal commence aujourd’hui et se déroulera jusqu’au 6 juin avec la participation d’une cinquantaine de poètes lors d’une quinzaine d’événements inédits en ligne. La poésie des femmes y occupera une place importante. Entre nos mains est le thème cette année et ce qui s’y trouve depuis quelques mois est la fabuleuse Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000|2020 (préparée par Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose. En toutes lettres s’est entretenu de la poésie au féminin avec Nicole Brossard, coautrice de l’Anthologie de la poésie des femmes du Québec, des origines à nos jours.
Ces deux incontournables publiés par les Éditions du remue-ménage représente une somme de travail considérable. Parue en 1991, puis revue et augmentée en 2003, la première des deux, préparée par Nicole Brossard et Lisette Girouard, a assumé la lourde responsabilité de remonter le temps jusqu’à Marie Guyart, dite de l’Incarnation, pour retracer plus de 500 textes de 138 poètes dans une « grande fresque du sujet féminin ».
La poète, romancière et essayiste, Nicole Brossard, se rappelle qu’elle cherchait, avec sa coautrice, à attirer les projecteurs vers l’underground et les poètes peu ou pas connues.
« On essayait de trouver des textes qui manifestaient une part de liberté, d’audace et un changement dans la nature du rapport d’adresse. Pendant longtemps, les femmes parlaient à Dieu ou à l’époux, mais soudainement, avec la première vague féministe, elles se sont mises à s’adresser aux autres femmes, la mère, la sœur, l’amie. Cela a créé une confiance et une liberté dans l’expression. »
On ne soulignera jamais assez l’importance de cette recherche d’un tel patrimoine, souvent méconnu, effectué par les coautrices dans cette première anthologie.
« Même nous, avons fait plusieurs découvertes en choisissant les textes les plus signifiants en poésie, mais aussi pour la société, ayant notamment des dimensions féministes évidentes ou souterraines « , confie Nicole Brossard.
Retour aux souces
La nouvelle anthologie, de Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose, lui apparaît des plus réussies relativement à l’histoire de l’écriture des femmes au Québec. Les grands espaces ont longtemps intéressé les poètes dans le passé, puis la ville a pris le dessus. On assiste maintenant à une sorte de retour aux sources.
« À la lecture du livre, on peut constater ce qu’a réussi le féminisme depuis 20 ans, la culture du « je » femme-sujet et de la solidarité féminine. Ça me fascine également de voir comment les thèmes de la nature et du fleuve sont présents. Dans la nôtre, c’était la femme dans la vie urbaine qui apparaissait avec les possibilités d’audace et de transgression que cela permettait. Aujourd’hui, ce sont des femmes qui savent qu’écrire les concerne. Elles ne se posent plus la question à savoir si elles ont le droit d’écrire. »
Nicole Brossard et Lisette Girouard ont travaillé trois ans sur leur anthologie, Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose, également. D’un côté comme de l’autre, les choix ont parfois été déchirants pour les autrices.
« Lorsqu’on prépare une antholgoie, il y a une signature et il faut l’assumer. La nouvelle anthologie couvre une période de 20 ans, la nôtre, on parle de siècles. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’elles réussissent à faire un portrait, non seulement, de la poésie des femmes, mais je dirais de la poésie québécoise des 20 dernières années. Leur choix de textes de chaque poète est excellent. Les poèmes sont forts, intenses. »
Féminisme
Les deux anthologies gardent l’œil bien ouvert sur le mouvement féministe et tracent ensemble une sorte de cartographie des progrès sociaux qui ont eu cours.
« C’est une anthologie précieuse, estime Nicole Brossard. Pour nous, c’était une lutte pour les femmes d’écrire. Plusieurs femmes avaient écrit d’excellents recueils dans les années 50, mais comme elles n’ont pas pu combattre le machisme et le sexisme qui les entourait, elles n’ont pas écrit de second livre. Ce n’est plus le cas heureusement. Il y a une qualité et une variété dans cette nouvelle anthologie avec différentes postures par rapport à la langue et à l’écriture. »
En outre, note Nicole Brossard, « l’anthologie rassemble une vitalité d’écriture et d’être. La qualité est là et il y a quelque chose de nerveux dans le livre. C’est une belle vue d’ensemble. On lit chacune d’elles et on voit aussi le collectif. Vanessa et Catherine nous donnent accès à des poètes moins connues aussi ou peu accessibles. »
Dans cette anthologie ou dans d’autres publications récentes de jeunes écrivaines, le ton a changé.
« Chaque femme qui prend conscience du machisme toujours présent, c’est toujours un coup de poing pour elle. Certaines choses changent, mais il y aura toujours des béances, des mensonges, des violences. Ce que les féministes, nous essayons de faire, c’est les faire disparaître. Il y a des périodes, comme les années 80, où la société refoule la pensée et l’action féministe. Pour cette raison, aujourd’hui, les féministes ne mettent plus de gants blancs. On est dans l’action directe en lien avec l’émotion. »
Violence
La vague récente de féminicides aurait de quoi décourager l’engagement et le militantisme, mais Nicole Brossard voit les choses d’un œil humble et fort sage.
« Devant cette division persistante entre le masculin et le féminin qui a organisé toutes les sociétés et les civilisations, il faudrait être prétentieuse de dire que ça va changer en 50-70 ans. C’est un nœud qui reste très long à défaire. Il faut que les hommes s’y mettent aussi. La technologie change le monde et continuera de le faire très rapidement dans les 30 prochaines années. On travaille avec un pied dans l’humanisme, un autre dans le féminisme, mais il a un espace qu’on comprend à peine qui est celui de l’intelligence artificielle. »
Le fait, par contre, que presque la moitié des recueils de poésie publiés au Québec sont écrits pas des femmes réjouit la grande écrivaine.
« C’est un changement social important, croit-elle. Ce sont des femmes qui n’ont plus peur de dire ce qu’elles pensent. C’est quelque chose qui est rentré dans les gestes, les corps, la pensée des femmes en association avec le bien-être et le féminisme. »
En préparation
Nicole Brossard prépare depuis l’été 2019 une série de textes s’apparentant au journal, à la poésie et à l’essai. On a pu en avoir un aperçu sur le site ramures.org il y a quelques semaines avec L’été de prose qu’elle a fait paraître dans le cadre du projet Novendécaméron. Texte qui commençait par cette magnifique phrase : « Personne n’est fait pour immobiliser l’éternité en son ventre ».
Notre article à ce sujet: https://mariocloutierd.com/2021/04/06/litterature-le-confinement-en-pieces-detachees/
La prose et la poésie se disputent donc toujours la place dans son esprit, mais elle dit attendre « quelque chose de foudroyant » pour qu’émergent de nouveaux poèmes, tout en qualifiant la prose de « plus reposante ».
La néo-hybridité dont plusieurs se réclament aujourd’hui, de brillante façon d’ailleurs, a toujours représenté l’une des marques de l’écriture de Nicole Brossard, tout comme le fragment d’ailleurs. La poète-essayiste continuera de se poser des questions au sujet de la littérature, sa diffusion et sa popularité devant la « nécessaire lutte contre la douleur » que l’écriture permet.
Ses livres ont fait l’objet de plusieurs traductions au cours des dernières années en anglais, en espagnol et en catalan surtout. « C’est précieux de pouvoir exister dans une autre langue, dit-elle, comme il m’est précieux aussi de lire des traductions. »
Notre texte sur le Festival: https://mariocloutierd.com/2021/05/20/poesie-partout-la-poesie/
Infos : https://www.festivaldelapoesiedemontreal.com/fr/presentation-du-festival-1