André Dudemaine, photo: Mario Faubert Conchi León, photo : Compagnie Sa’as Tun
Dans le cadre des activités de la Biennale CINARS 2021 se tenait, le 27 mai, la conférence Les trois Amériques, là où naissent et circulent nos rêves avec quatre intervenant·e·s autochtones du monde des arts et de la culture. En toutes lettres s’est entretenu avec deux des participant·e·s de cette scène des plus dynamiques : André Dudemaine et Conchi León .
La situation des artistes des premiers peuples dans les Amériques diffère beaucoup selon le pays où sont installé·e·s les créateurs·trices. Mais tous et toutes souhaitent une reconnaissance plus grande pour ces artistes qui sont encore trop souvent l’objet de préjugés.
« Je crois que l’art peut ouvrir la voie, lance le directeur du Festival Présence autochtone, André Dudemaine. Les artistes touchent à l’affect et peuvent créer un couloir de sympathie, comme me l’a appris le cinéaste Arthur Lamothe. Les artistes sont les meilleurs ambassadeurs, ou warriors pourrais-je dire, pour faire tomber les pires murs des préjugés. «
André Dudemaine milite en faveur de la reconquête de territoires imaginaires en art contemporain, c’est-à-dire de la légitimation de la diffusion des créations autochtones. Les artistes des Premières nations devraient pouvoir, comme tous les autres, profiter des nouvelles possibilités offertes notamment par les technologies et les tournées internationales.
« Il s’agit de faire naître un art autochtone contemporain qui correspond aux espaces actuels, qui englobent la planète, et qui rejoint d’autres sensibilités autochtones d’un peu partout. On a des connaissances en commun parce qu’on a des liens avec l’Amérique latine, la Guatemala, le Mexique, le Brésil, la Bolivie, entre autres. On a déjà un réseau international qui ne demande qu’à être enrichi. »
Mexique
À ce sujet, la dramaturge et actrice Conchi Leon, qui vit à Merida dans le Yucatan au Mexique, souligne l’importance de l’art autochtone avec sa manière différente de voir le monde. Elle estime important le fait de partager les points de vue entre les différentes communautés des premiers peuples des Amériques, malgré les différences socio-économiques entre les pays.
« D’un côté le théâtre autochtone a fait d’énormes progrès au Mexique en étant davantage diffusé et exporté dans le monde, fait-elle savoir. De l’autre côté, on entend encore des voix qui disent que la valeur artistique de notre travail n’est pas à la hauteur. Donc, il reste beaucoup de choses à faire parce que les discriminations persistent. J’ai lutté contre ça toute ma vie. »
Conchi León pratique un art engagé. Cette militante pour les droits des autochtones écrit, joue, donne des ateliers et conférences avec, comme objectif, de partager avec le plus grand nombre une culture millénaire que la modernité tend à gommer.
« Je ne saurais pas faire autrement, avoue-t-elle. Le social, le politique et l’artistique sont liés à mes yeux. Créer c’est ouvrir les perspectives, dénoncer les injustices, la violence faite aux femmes, entre autres. Je crois que l’on devrait tous et toutes être préoccupé·e·s par ces questions, pas seulement les Autochtones. »
Mestiza Power

L’une de ses 60 pièces de théâtre, Mestiza Power a été traduite et jouée un peu partout dans le monde. Le spectacle aborde la vie de femmes mayas contemporaines dans leur lutte pour leur reconnaissance.
« La culture et les traditions mayas font toujours partie de notre quotidien. C’est quelque chose qu’on tient à préserver. En ce sens, il n’y a pas de différence entre le passé et le présent, sauf pour ce qui est des préjugés et des abus qui ont toujours cours au moment où l’on se parle. »
« La vie est faite de cycles : la mise en terre, la croissance et les récoltes, explique-t-elle. Comme artistes autochtones, nous en sommes encore au premier cycle des semences. Nous vivons une époque incertaine, mais c’est réconfortant de savoir que nous pouvons influencer les choses grâce à notre énergie et nos idées. »
Le principe de Joyce
Chez nous, à la lueur de la tragédie fatale de Joyce Echaquan, il est clair que le racisme systémique a aussi cours de nos jours.
« Socialement, le changement de paradigme est loin d’être accompli malheureusement, note André Dudemaine. Il y a des fissures dans le panorama de préjugés, la plupart inconscients, qui existent. Le paysage mental des abus qui ont été mis à jour par la tragédie de Joyce Echaquan, témoigne d’un certain état de l’opinion publique où il apparaît évident que les Autochtones n’ont pas regagné leur dignité. »
Le directeur de Présence autochtone craint également les effets de mode qui pourraient nuire à la pérennité de, justement, cette « présence » des artistes des premiers peuples toutes disciplines confondues dans l’œil des médias et du public.
» C’est tout à fait un nouvel univers dans lequel on évolue aujourd’hui. Il y a des ouvertures et des possibilités qui n’existaient pas avant, mais on doit rester vigilant. Il y a toujours un petit diable qui sort de la boîte pour nous avertir. On peut s’attendre à ce que l’engouement actuel s’atténue et fasse place à un autre courant éventuellement. »
Pour André Dudemaine, il faut donc saluer les avancées sans pavoiser. Les 30 ans d’un festival comme Présence Autochtone reste une pierre sur laquelle il est possible de miser pour l’avenir.
« Notre festival, ajoute-t-il, reste un avant-poste pour faire avancer un agenda de décolonisation et de reconnaissance des arts autochtones. L’événement jouit de plus en plus d’appuis et de reconnaissance. La ville de Montréal vient d’ailleurs de nous reconnaître comme un grand festival. C’est une considérable. »

Pour avoir un aperçu du travail des artistes autochtones d’hier, d’aujourd’hui et de demain, ce lien vers les productions de la Fabrique culturelle permet de connaître plusieurs créatrices et créateurs :
https://www.lafabriqueculturelle.tv/dossiers/7565/artistes-autochtones-11-nations/