THÉÂTRE: Alep pour toujours

Alep, portait d’une absence, photos: Pierre Yves Massot

Programmée l’an dernier puis reportée à cette année, la pièce Alep, portrait d’une absence reste l’un des projets les plus attendus au FTA. Entre 2012 et 2016, la guerre civile a fait plus de 20 000 morts dans la deuxième ville de Syrie. Devant un spectateur à la fois, le spectacle « reconstruit » en quelque sorte Alep à l’aide des témoignages de 10 survivants qui ont fui le conflit. En toutes lettres s’est entretenu avec le dramaturge Mohammad Al Attar.

Depuis trois ans, Alep, portrait d’une absence a été présenté en Allemagne, en Suisse et en Australie notamment. Son concepteur et auteur Mohammad Al Attar est Syrien, originaire de Damas et il vit maintenant à Berlin. Il a travaillé en collaboration avec Bissane Al Charif et Omar Abusaada, qui signe aussi la mise en scène.

« C’est toujours nouveau pour nous puisque dans chaque ville, nous travaillons avec des interprètes locaux. Ce n’est jamais ennuyant, même si le concept reste le même. C’est la première fois, cependant, que nous travaillons dans un contexte virtuel pour la mise en scène « , note Mohammad Al Attar.

La distribution locale est composée d’Éloi ArchamBaudoin, Larissa Corriveau, Lyndz Dantiste, Nicolas Desfossés, Mohsen El Gharbi, Ariel Ifergan, Simon Landry-Désy, Bruno Marcil, Alice Pascual et Mattis Savard-Verhoeven.

Prenant place de chaque côté d’une table représentant une carte de la ville, ils et elles racontent à un·e· spectateur·trice la vie à Alep qu’a connue un·e de ses ex-habitant·es, Ces souvenirs permettent de « reconstruire » en imagination ce qui a été détruit par la guerre.

Mohammad Al Attar, photo: Giorgia Fanelli

 » Je voulais faire un remapping de la ville en me basant sur les histoires de 10 personnes qui ont dû évacuer Alep en raison du conflit. Elles viennent de différents quartiers de la ville, classes sociales et sont d’âge divers. Je voulais explorer le pouvoir de la mémoire comme dernier outil de résistance pour ces gens qui ont vu leurs rêves de changements être réduits à néant, tout comme, pour la plupart, leurs lieux de vie. Ce qui n’a rien de banal. Comme, je crois, la possibilité d’en conserver quelque chose à l’aide du spectacle. »

Canevas

Comme canevas de base, cette pièce de théâtre documentaire a amené des recherchistes à trouver et rencontrer d’ex-habitants d’Alep pour leur poser des questions sur leur vie d’avant au sein de cette cité de la taille de Montréal.

« Nous avons essayé de montrer le riche tissu social de la ville. Alep représente probablement le meilleur exemple syrien de coexistence pacifique entre divers groupes ethniques et religions. »

Comme auteur, Mohammad Al Attar estime que ce projet basé sur des témoignages réels porte tout de même sa signature.

« J’ai réécrit leur histoire sous la forme d’un monologue pour chacun·e des participants qui savaient que leur témoignage allaient servir à écrire une pièce de théâtre. Leur parole était percutante, donc je n’ai pas eu à en rajouter. J’y ai trouvé mon compte parce que mon but était surtout de leur rendre justice. »

Distance préventive

En raison de la pandémie, les interprètes seront séparés des spectateurs par un morceau de plexiglas pour qu’ils et elles n’aient pas à porter un couvre-visage. Même si les témoignages peuvent être émouvants, le ton des acteurs et actrices garde une certaine neutralité cependant.

« Ils et elles sont encouragé·e·s à raconter l’histoire de quelqu’un d’autre. Ils et elles ne jouent pas un rôle. Ils et elles agissent plus comme des traducteurs. Dans cet espace réduit, le jeu n’a pas besoin d’être exagéré. Chaque parole, geste ou regard est capté instantanément par leurs vis-à-vis. »

Évidemment, les interprètes doivent parfois improviser selon les réactions des spectateurs et spectatrices. Mais rendu là, il s’agit de cas par cas et certaines astuces dramaturgiques sont utilisées pour garder tout le monde dans la réalité du spectacle.

Spectacle

Les représentations ont lieu dans une salle où les dix interprètes, séparés les uns des autres, racontent l’histoire de leur habitant·e d’Alep. Avant d’entrer dans la salle, les spectateurs·trices reçoivent un morceau provenant d’un puzzle géant qui représente la carte de la ville et un dictaphone. Après avoir découvert la table où leur morceau pourra trouver sa place, un·e interprète s’amène et actionne le dictaphone.

« À la fin de la pièce, l’interprète demande à son vis-à-vis si il ou elle veut envoyer un message à la personne dont elle vient d’entendre l’histoire et lui fournit un appareil pour enregistrer son message. Personne d’autre ne l’entendra que celle à qui il est destiné. La majorité des spectateurs et spectatrices le font. Pour nous, cette partie est importante et belle parce qu’elle permet une sorte d’échange entre des personnes de cultures et d’expériences de vie très différentes. »

Extrait du témoignage de Fouad, un médecin de 55 ans qui vit désormais au Liban:

« Bien sûr, je me meurs de pouvoir revoir Alep. Mais je suis aussi préoccupé par cette question: Qu’est-ce qui est mieux entre voyager et voir une ville qui a changé, ses quartiers qui ont disparus et d’autres qui ressemblent à des cadavres ou plutôt conserver mes souvenirs de la ville que j’ai connue. Je ne sais vraiment pas. « 

Alep, portrait d’une absence est présentée à l’Édifice Wilder jusqu’au 12 juin