LITTÉRATURE : La spirale de la douleur

Dirigé par Vanessa Courville, et soutenu par Stéphane Dompierre, un collectif de neuf autrices se penche sur la fatigue des femmes. C’est un spectre assez large de possibles modes de souffrances qui attend ici le lecteur. Celui ou celle qui attend plaintes et lamentations, sera bien surpris par Maganées. Car le plus cru dans tout cela, c’est qu’il y a ici un ton qui suggère que toutes ces grandes et petites avanies sont les moments banals et répétés du quotidien, qu’elles sont affaires routinières et attendues. Et quelles ont des répercussions qui cimentent et scellent l’identité de chacune des héroïnes.

Il est assez ironique de devoir commencer mon premier texte de 2022 avec ce recueil de nouvelles d’autrices. Maganés, nous le sommes pas mal tous en cette vague omicronienne qui nous frappe et dont on espère bien avoir touché, pas le fond, mais le top.

On sait toutefois que la/le COVID (c’est selon!) est sélective, la coquine/le coquin. Dans le cas d’une pandémie de cette sorte, ce sont les défavorisés de nos sociétés et de notre monde en général, qui écopent le plus. On peut croire qu’il en va de même pour les femmes, plus que jamais attelées à maintenir le difficile équilibre entre travail, enfants et autres responsabilités.

« (T)out le monde a ses problèmes. Les miens sont bénins », écrit une des autrices de ce recueil, Fanie Demeule pour ne pas la nommer. J’avoue, bien candidement, que je craignais un peu cela, de tomber sur des ennuis vaguement bénins, qui conféreraient à l’ensemble du projet un ton de jérémiades. Ce pourrait évidemment être le cas avec un tel thème mais il n’y a nul misérabilisme dans ce livre. Il y a du contenu, de la verve, de la plume d’autrice, des univers singuliers, costauds, convaincants.

En fait, et cela est troublant, attristant même, on sent qu’on ne cherche pas à nous persuader du côté dramatique des choses dans aucune de ces nouvelles. Pas de Violette Leduc ici. Pas de mise en scène compassée de la douleur et du malheur. Non, et le pire dans tout cela, qui est bien efficace, c’est qu’il y a une approche et une manière de nommer qui semblent nous dire qu’ainsi va la vie. Qu’on ne peut faire autrement; que c’est là le lot quotidien des femmes, de tout cela qui en vient à leur pourrir la vie!

Les sujets de ce mal-être et de la géhenne peuvent prendre bien des visages différents. Certains semblent évidents. Le mal, chez Fanie Demeule, est celui du corps malade qui ne trouve pas de répit. Chez July Giguère, il est épreuve qui amènera un événement finalement pas mal plus heureux. Mais ce peut être aussi plus inattendu. C’est lors d’un Spring Break, à Daytona Beach, que les passions désabusées et les dégoûts hérités de l’enfance, parfois, surgissent pour l’héroïne de Gabrielle Giasson-Dulude.

Routine

Dans la nouvelle Fracas, de Mélanie Landreville, c’est l’avatar du personnage de Song, invoqué par la narratrice, qui semble nécessaire à la survie aux assauts du monde. Ce peut aussi être dans un cadre professionnel que la plate routine d’un quotidien exacerbé devient agressante. Car le train-train recèle lui aussi son lot d’avanies, que la fin du jour réussit à cacher. Marie-Christine Lemieux-Couture le montre bien. On peut aussi, comme chez Karine Rosso, être maganée par les choix malheureux que la vie nous intime de faire; alors que finit par apparaître une nature profonde de soi qu’on ne devinait pas avoir cette tournure.

Pour Roxanne Guérin, c’est le geste de créer qui entraîne lui aussi son lot d’angoisses, dans un rituel dont on sait qu’il se répétera dans une pulsion fondamentale de l’être qui ne peut s’y dérober. La protagoniste de Las Vegas, de Vanessa Courville, est une boxeuse retraitée. Elle a la douleur métissée de regrets pour un passé qui l’a laissée atone et vide, hésitante devant le poids d’un monde qui finit invariablement par nous rouler dessus. Le personnage féminin (pourquoi je ne pourrais pas dire : ‘la’ personnage?) imaginée par Marie-Pier Lafontaine, jongle avec l’idée de poser le geste ultime qui libère et achève tout.

Le problème peut bien apparaître bénin aux yeux de certains; la douleur qu’il engendre ne l’est pas toujours, elle. Elle peut faire des cercles concentriques qui finissent par tout englober. Et tout avilir…


 Maganées
Collectif d’autrices sous la direction de Vanessa Courville
Québec Amérique, 2021
176 pages