
Lancée à voix haute, vibrante à l’écran ou gravée dans un bout d’écorce, la poésie sera, heureusement, toujours sur notre chemin. Pendant les névroses collectives, elle exhale ce qui existe à la fois de déchirant et de lumineux. Vaccin contre l’indifférence et la négligence, réconfort, affranchissement. Voici les 25 recueils qui, chacun à sa manière, nous ont tenus loin des ténèbres en 2021.
Derrière la nuit, Germaine Beaulieu, Écrits des forges, 118 pages

« Au jour le jour, même rituel, sur mes os camisole de force, sculpture de marbre.
Je réclame une peau vivante, flexible, imprégnée d’avenir. Une clairvoyance qui touche l’essentiel sans peur de me brûler. »
Chambres claires, Laetitia Beaumel, Hamac poésie, 80 pages
« année longue de chair désespérante de canines avides je rangeais chaque soir quelques frôlements derrière mes paupières et pendant des mois j’ai porté emmaillotés sous ma langue ces petits riens qu’on cherche à perdre souffle bleu // de la gravelle plein le visage »
Les univers parallèles, Laurie Bédard, Le Quartanier, 136 pages

« moi qui n’aime que le soleil écrasant / qui cherche à travers le bois sale un repos pour un respir / qui depuis mon plus jeune jardin découpe / dans le sol des ruisseaux pour abreuver les fleurs // je n’ai plus que des gouttes / à déplacer dans la fiévreuse précaution / de ne rien perdre / de l’aube à la nuit j’invente / sous d’autres éclairages des fins qui me plaisent // j’ai gardé des secrets »
La voleuse, Daria Colonna, Poètes de brousse 264 pages
« Existent des enfants empaillés de bonnes notes qui guériront le temps de sa technologie. Sauf les opinions, nous ne croyons en rien. Nous aimons la douleur, c’est vrai. Nous respectons la force. Nos désirs météores brassent des idées importantes, mais nous avons des moyens de bêtes disparues pour récolter les mélodies. »
La consolatrice des affligés, Marie-Ève Comtois, Le Quartanier, 136 pages

« l’homme est une petite peau perdue / il fait pitié comme un cil / indélogeable dans l’oeil / je me trouve chanceuse / de m’accepter femme / mes amies ne prenons pas de chance / regardons-nous franchement / parlons de nos pires blessures / pour atteindre les moins pires / marchons ensemble / dans la forêt des mal-aimés »
Disparaître, Denise Desautels, Noroît, 136 pages
« Mais ton crâne à l’eau bleue coule. Encore.
Tout revient
sous une vitre
qu’on n’arrive plus à traverser.
Ton crâne.
Ce qui pleure en lui de nous.
Le creusement des absences sur la page.
L’épreuve de la cendre – c’est inouï
envahit une fois de plus chaque neurone du rêve.
Avoir mal.
Disparaître.
La loi du cercueil une fois de plus.
Sonore suaire sous nos cils.
Et douceur là où ça tremble.
Notre désir ravitaillé
par les assauts
d’une patiente offrande. »
Tableaux d’hiver, tableaux d’été, Jean-Marc Desgent, Poètes de brousse, 64 pages

« Du haut de ma rougeur blanchie, / métis je suis, / et avant de raconter méchamment, / vilainement l’histoire d’un massacre, un de plus, / je danse sur ma propre chair / et chante farandoles et refrains / sur trois cents tués, / trois cents petits Indiens comme trois cents / ou trois cents milles petits Rwandais / découpés en morceaux, à la machette, / c’est n’importe où, c’est en Afrique, / c’est ici, en Québec un peu partout, / trois cents petits écervelés, décervelés… / Ces pas de cœur, mes pas de cœur, / ces pas de tête, mes pas d’âme! »

Paroles biologiques, Stéphane Despatie, Écrits des forges, 86 pages
« Nous ne volons plus / au-dessus des clochers / entre les cheminées chassant les dragons / ni sous les radars jaloux // nous passons la serpillière / laissons enfoncées dans les joints / les paroles biologiques // elles longent le corridor / croisent les pièces de guerre / se taisent sous la torture / mais s’entendent en boucle / dans les moindres recoins de nos doutes »
La compromission, Isabelle Dumais, Noroît, 118 pages

« prendre pour acquis un pas / en faire un autre / la direction importe / peu // bouger / me compromettre à un acte / bien que je sois consciente du caractère / aléatoire de l’opération »
Mes forêts, Hélène Dorion, Éditions Bruno Doucey, 128 pages
« Je m’incline souvent / devant la figure unique / d’un jeu de feuilles et de branches // la maigre cicatrice de l’écorce / le noeud dans le bois dur / l’arbre n’échappe pas à sa souffrance / il n’est rien d’autre que lui-même // avec la longue respiration des saisons / il regarde par les yeux du vent // de ses racines / et de l’anneau des années / il ignore tout // et je m’incline encore / pour écouter son voyage immobile »
Morceaux de mémoire, Mathieu Dubé, Sémaphore, 224 pages

« Je pense / sur ce caillou / Perdu dans les solitudes / pyramide humaine / Où allons-nous ? / je pense / la Terre tourne / dans un mauvais film… / metteur en scène / où allons-nous ? / Je pense / Tout est peut-être / FABULEUX ACCIDENT / Au final, on s’en tire ! Mais / où allons-nous ?«
Radiale, Valérie Forgues, Le Lézard amoureux, 72 pages
« Je garde dans ma penderie / des routes glissantes / des boucles à descendre / en tête-à-queue // j’attends un langage à l’abri / un langage qui marche sur un fil / qui s’installe en panique »
Philtre, Jean-Philippe Gagnon, Noroît, 128 pages
« sur l’heure / dépourvue de cloches // dans la déliquescence / des chanvres, des racines // follement // contre tout / espoir léchant l’effroi / sur no os // j’aurai tenté une fulgurance // décocher mon esprit nu / hors des poupées russes de la mort // beffroi hérissé / à la rencontre de ce qui bouge / infirme ma vie / fuse de sa boîte orbe »

Freak Out in a Moonage Daydream, Nicholas Giguère, Le Quartanier, 308 pages
« Autoportrait
j’embrasse beaucoup d’hommes / amers et anéantis / ils serrent entre leurs mains / un grand sac de papier brun / j’ai une chambre à louer / où des lézards pondent / et pleurent devant le foyer / j’essaie de ne rien perdre / même si je donne mon corps / je ne suis pas un morceau / de la faune adolescente / j’aspire à l’impermanence »
Refuge pour ténèbres, Stéphane Jean, Les Herbes rouges, 88 pages

« je traîne l’espérance vers un ruisseau / mes proverbes pleurent en dormant / la beauté est-elle l’érudition de la foudre // le crépuscule se risque / à franchir nos vœux / un pâturage coincé / dans l’impolitesse du froid / les saisons ont faim de pourriture // on ne sait pas d’où venait l’éden / si mauve que la mort s’est baignée »
Rien ne manquait au monde, Marcel Labine, Les Herbes rouges, 250 pages
« Je redoute les rois déchus, leurs tares / me seront léguées une cellule à la fois ; / je n’apparaîtrai pas aux registres / ni aux cadastres, je serai le réfugié, / le spolié marqué au front de la déroute ; / pestiféré, je tomberai en aphasie, / sans crier, sans périr, / je mettrai des lunes à cesser d’être / ce que j’aurai été, j’envierai / les couinements, les jappements, / l’hibernation et son sommeil, / je serai l’aboli, le caviardé, / je regretterai ma retraite au pays / qui mutile les icônes et les poèmes. »
Exosquelette, Chloé Laduchesse, Mémoire d’encrier, 128 pages

« au jour dit nous retournerons / au cœur des échafauds allumer / un cierge pour celui qui / s’est pendu aux cieux / avec des lacets d’occasion / nous relèverons celle qui / du bout des doigts cherche / l’éclat du nickel sous le bitume »
You, Chantal Neveu, La Peuplade, 88 pages
« nous n’avons pu rassembler les conditions de présence
il n’y eut ni signe externe ni somme critique ni point de
basculement passage à l’action je ne sais quoi seul un
absolu funeste mobile horizon factice rassasions-nous
autrement neutralisons les afflictions les arabesques
les névroses le néfaste dépistons les métaphores les
leurres les torsades romanesques les antagonismes
les égarements les obstinations le tarissement ce qui
se rejoue mythologie familiale héroïsme archétypes
transgressions débordements complaisances psychiques
biographiques historicité les générations âges classes
continents rêves terreau mental fondamental cerveau
intellect charnel organe chéri nous nous plaisons nous
perdons-nous nous ne nous ferons plus l’amour mon
amour épanouissons le vivable »

La patience du lichen, Noémie Pomerleau-Cloutier, La Peuplade, 264 pages
« je déballe les objets / dont j’ai oublié le nom / sauf en blasphèmes / je n’ai pas ma confirmation / je n’ai jamais servi la messe // le cérémonial fait frissonner mes doigts / je ne voudrais rien briser / par respect / pour ceux qui m’accueillent // je pense à ce que je tiens / de sacré / et de lourd / à tout ce qu’il y a à ramancher // je suis avec eux / je ne peux pas baisser les bras »
Mauve est un verbe pour ma gorge, Nana Quinn, Poètes de brousse, 96 pages

« la souffrance / son nid de dentelles // tard le soir / le sommeil enduit nos fronts / d’une quiétude / grande comme un lac / sur le point d’avaler un homme // nos rêves irrémissibles parlent fort / l’un de nous ne reviendra pas / il faudra s’y faire »
Quand je ne dis rien je pense encore, Camille Readman Prud’homme, L’Oie de Cravan, 108 pages
« chaque jour j’attends la nuit, car la nuit j’ai peut-être moins de visage et plus de voix. pour cela sans doute la nuit m’apaise parce qu’elle offre un grand congé qui est aussi un droit de ne plus répondre. je veux dire que la nuit ne supporte pas les obligations elle est libre. la nuit il n’y a pas de rendez-vous il y a des rencontres, il n’y a pas d’horaires parce qu’il n’y a pas de repas , seulement du temps tendu, donné. »
Au plus clair de la lumière, Diane Régimbald, Noroît, 88 pages

« Questionne le pourquoi du monde
son ignorance aveugle veille à ne
pas tomber dans l’incrédulité – tu
écoutes le rebond de la clameur
désorientée les secousses des heures
disloquent la dette impayable le chant
revient – ne flanche pas – tu trembles
devant la défaite musardée te
demandes pourquoi n’ose-t-on pas
tenir ensemble l’indifférence masque
l’espoir rêvé ce désir d’être question
d’être et d’aimer à cœur ouvert »
Comment allons-nous dorénavant écrire ?, André Roy, Les Herbes rouges, 96 pages
« MONDE
Morceaux de corps / comme choses touchant le ciel / personne ne sait lequel meurt / parmi les garçons trop tigrés / avec leur oxygène leur pensée étreinte / ils ne connaissent que les crimes / que les failles de l’univers »
Sainte Chloé de l’amour, Chloé Savoie-Bernard, l’Hexagone, 110 pages

« si dans le jour j’avance affable / tout en sachant que sur mes épaules s’amoncellent / les strates de violence éculées / je me dis tant pis je marche quand même / en beurrant juste un peu plus mes travers // la nuit les miasmes de la journée / me bercent m’enlacent sangsues / cupides et pernicieuses / elles se glissent derrières mes oreilles / brassée le sexe ouvert dans l’œil de la tornade / j’avale le dehors et ne le digère pas »
Pomme grenade, Elkahna Talbi, Mémoire d’encrier, 136 pages
« Comment
quelque chose de si intime
à moi
mon sexe
comment
peut-il être si politique ?
je ne me possède pas
sans papiers. »