ARTS VISUELS : Couleurs synesthésiques

Vues de l’exposition de Nelson Henricks au MACM, courtoisie: MACM

Nelson Henricks a plus de 30 ans de production artistique derrière la cravate. Il était donc temps qu’on lui consacre une exposition d’envergure. C’est ce qu’a décidé de faire le Musée d’art contemporain de Montréal. Il peut se targuer, pour l’occasion, d’être en bonne compagnie puisqu’il est accompagné d’une sélection des Screen Tests d’Andy Warhol. Ce choix est sien, et c’est avec cet ajout qu’il célèbre ses années de création au MAC dans les salles aménagées à la Place Ville-Marie avec deux œuvres présentées.    

Dans une première salle, à l’entrée de cet espace temporaire, Nelson Henricks donne les résultats d’une exploration menée auprès de la carrière de Joan Mitchell. Il partage avec elle une condition un peu spéciale ; à savoir que l’un comme l’autre de ces artistes établissent des correspondances inusitées, de l’ordre de ce qui est qualifié de synesthésie, entre des stimulus sensoriels différents. Ainsi, pour les deux, la perception de couleurs évoque des lettres de l’alphabet.

Pour illustrer cette condition et souligner leur parenté artistique sur ce point, Henricks a choisi de solliciter les couleurs issues de la palette de l’artiste américaine et d’en mettre littéralement partout ! Il occupe, pour ce faire, un mur entier sous forme de papier peint fait de carrés colorés. Ceux-ci se montrent en plus dans des tableaux, se pendent aux basques de costumes qu’a spécialement conçus l’artiste pour l’occasion et qu’il revêt dans une vidéo de 10 minutes. Ledit costume est d’ailleurs là, présent dans l’espace, enveloppant un buste.

Ce Don’t You like the Green of A ? est composé de cet ensemble installatif éclaté où les murs de la salle sont mis à contribution. Dans la vidéo lotie au sein de tout cet assortiment, l’artiste apparaît, vêtu de couleurs, et exhibe les tableaux monochromes qui sont eux aussi sur les murs. Les correspondances sensorielles sont aussi évoquées dans des scènes où on le voit déverser une couleur singulière sur une sculpture représentant une lettre.

En d’autres saynètes, il est là à tendre le micro sur une flaque de peinture s’étalant tranquillement, comme si celle-ci pouvait émettre, d’elle-même, un son qui lui serait propre. Il cherche aussi à capter les émanations sonores directement depuis des œuvres peintes avec les mêmes couleurs. Toujours là, en bon pédagogue sérieux et appliqué, il se dédouble à certains moments en caméraman affairé.

Des têtes vont tomber

Heads Will Roll, la deuxième œuvre, est dans une salle adjacente. Il y a là quatre vidéoprojections qui offrent des scènes en décalages légers. La pièce s’inspire du printemps érable et du potentiel révolutionnaire que peut revêtir l’usage d’instruments de musique associés à de telles manifestations. On ne s’étonnera donc pas de voir s’y agiter un drapeau ! Mais, plus encore, ce sont les instruments de percussion, les crécelles et les voix qui animent les images. Des mouvements de frappe simples finissent, répétés d’un écran à l’autre, par former une chorale ; comme le font d’ailleurs les voix.

Il en va comme si Drumming, pièce musicale de Steve Reich, créée en 1970-71, retentissait des échos de la vindicte étudiante de 2012. Sons et images ici montrent leur potentiel vaguement anarchique et colérique. C’est à la fois échevelé et contrôlé, dans des scènes où des personnages apparaissent en contrejour, sur des écrans translucides et rétroéclairés s’effaçant derrière des images omniprésentes, en action.

Les Screen Tests de Warhol datent des années 1964 1966, issus d’une période d’intense production cinématographie expérimentale pour l’artiste new-yorkais. 472 de ces tests auraient survécu et c’est au sein de ce vaste répertoire que Nelson Henricks en a sélectionné 15. Bien que transférés sur vidéo, ils gardent tous la facture et l’allure du traitement analogique de l’image. Ils ont une durée d’approximativement 4 minutes, car c’est là la limite de ce que permettait le format du film choisi à l’époque.

Il s’agit donc pour chacun des sujets, au sein desquels on retrouve ici Lou Reed et un jeune Dennis Hopper, de résister à l’épreuve du passage du temps. Aucune consigne ne semble leur avoir été donnée et leur malaise est parfois palpable. Ils se contentent de réagir aux aléas de cette expérience, cherchant à entrer en contact avec ce qui se profile en hors-cadre et dont on aimerait bien, parfois, avoir une idée. À moins qu’il ne cherche à flirter avec celui derrière la caméra. Alors que d’autres ont visiblement opté pour une certaine narrativité minimale, choisissant une activité qui leur permette d’occuper de manière constructive cet espace de temps qui leur est dévolu.                                                                        

Voilà une juxtaposition d’œuvres qui laisse un brin perplexe. Le côté pédagogique, plus explicatif et faussement sérieux de l’œuvre à l’entrée, introduit à un ensemble de vidéoprojections où la synesthésie devient processus actif, créateur d’œuvres. Le choix d’offrir ces Screen Tests, sorte de point de départ d’une pratique vidéo expérimentale, passé ce plaisir pris à les retrouver, surprend. Quelque chose de subtil unit cependant les deux dernières œuvres. Une disposition que je qualifierais de vaguement sculpturale, qui impose l’image comme présence physique concrète, brute, au ras du sol dans le cas des Screen Tests, plus aérienne dans celui de Heads Will Roll.

Mais c’est certes à voir avant qu’il ne soit trop tard, car l’exposition finit bientôt !


Nelson Henricks, Des œuvres inédites, Musée d’art contemporain de Montréal, du 17 novembre 2022 au 10 avril 2023