LITTÉRATURE : Engendrer des étoiles

Les étoiles peuvent naître partout, même dans les trous noirs, semble-t-il. Le nouveau recueil de Roxane Desjardins n’est pas un ciel étoilé en 2D, mais bien une image du cosmos en 3D. C’est un livre-somme où un poème en cache un autre et ainsi de suite. Le genre de livre, Trou noir, qu’on garde tout près parce qu’il n’a pas fini de nous livrer ses secrets.

Trou noir résulte de plusieurs années de travail, ce qui renvoie à une période précédant Le revers, publié il y a cinq ans déjà. Depuis, la directrice des Herbes rouges a beaucoup bossé sur les livres des autres sans pour autant nier son besoin d’écrire.

 » Avant son décès, François Hébert avait lu et aimé la première partie du livre qui s’appelle « Calme ». J’ai écrit le reste quand j’avais du temps libre entre deux demandes de subventions. C’est un autre état d’esprit, mais c’est nourrissant aussi de parler avec les poètes. Lire des poèmes donne envie d’écrire parce que je suis immergé dans les œuvres. « 

Elle confie que la somme de travail derrière Trou noir représente une partie importante de son existence d’autrice jusqu’ici, qu’il s’agit en quelque sorte du livre d’une vie.

 » Cette impression m’a plu, comme si le livre englobait tout. Aujourd’hui, tout me ramène à ça. Maintenant, je pourrais ne pas écrire de poésie pendant 10 ans et ce serait bien ainsi. J’y ai vraiment tout mis. Il y avait un désir d’exhaustivité, de ne rien retenir. « 

Roxane Desjardins, photo:  Katya Konioukhova

Trou noir est un recueil qui se déploie en longueur, en largeur et au-delà. Il n’y a pas d’aplats de couleurs ici, mais une réelle explosion de teintes et de demi-teintes. Un souffle le traverse de bout en bout.

 » Il s’est écrit comme ça. Quand j’ai écrit Ciseaux (2014), j’avais 20-22 ans, je n’avais pas eu le même accès à la littérature. Il y avait peu de livres autour de moi qui ressemblaient à ce que j’aimais. J’avais l’impression que chaque mot que je mettais sur la page était arraché à une obscurité totale. Avec Trou noir, j’ai lu beaucoup pour le travail et le plaisir. J’ai vraiment imaginé un livre cette fois. En ce moment, j’ai vraiment fait le tour de mon envie d’écrire des poèmes. C’est libérateur en même temps. Le prochain projet sera d’écrire un essai sur la poésie. L’impression qu’il s’agit d’une chasse gardée, la poésie, c’est étouffant. En même temps, ça mobilise des connaissances afin de lire la poésie. Je veux y réfléchir. J’ai envie de fournir des outils pour parler de poésie. »

Colère

La colère qu’on peut lire dans Le revers est présente ici aussi, comment faire autrement à cette époque délétère, mais un réel empuissancement se révèle peu à peu. Un chemin vers la lumière se fabrique quelque part entre le  » Je meurs lentement  » et «  Je suis amour qui lèche toute chose « .

À l’origine, Trou noir devait servir à son projet de thèse en recherche-création à l’université de Montréal qu’elle n’aura, toutefois, pas pu terminer. Devenir éditrice des Herbes rouges à plein temps y aura mis un frein. Plusieurs ami.es, collègues, spécialistes l’ont ensuite aidé à conclure le livre, chacun.e à sa façon. « Ça prend un village pour faire un livre », dit-elle.

« Je ne sais pas comment on se sent en le lisant, mais je suis consciente que c’est beaucoup, qu’il y a beaucoup de matière. En le construisant, je me suis imaginé que ça pouvait être imposant comme l’a été pour moi la lecture de La raison des fleurs de Michaël Trahan. Dans ce livre, je peux faire un voyage différent à chaque fois, donc il ne s’épuise pas. C’est précieux. »

Pour elle comme pour un autre auteur des Herbes, Benoit Jutras pour ne pas le nommer, la lecture est fondamentale dans l’acte d’écrire. « J’ai lu All About Love de Bell Hooks pendant que j’écrivais mon livre et je crois que ça paraît. Une autre lecture qui m’a accompagnée c’est l’écriture expérimentale d’Emmanuelle Pireyre qui a gagné le Médicis en 2012 pour Féérie générale. »

Dépasser l’horizon

Parmi les nombreuses inspirations qui l’ont menée vers la luxuriance des trous noirs, elle nomme la grève étudiante de 2012, une certaine écoanxiété, le caractère élusif du langage, etc.

« C’est comme si l’horizon était bouché. J’ai senti le besoin d’essayer de nouvelles formes. C’est ainsi que les poèmes existent. Comme s’il y avait un mur et qu’il fallait que je construise des passages pour trouver une façon de le contourner. Il peut y avoir des expériences difficiles qui sont nommées, mais ça fait du bien de le faire. C’est comme leur donner un regard aimant. C’est presque avouer qu’écrire c’est thérapeutique. Ce n’est pas tout à fait ça, mais oui un peu. Ce n’est pas mon journal intime. C’est une écriture qui cherche à recréer du lien sans communiquer. »

Les interpellations et les adresses s’y côtoient, mais ce n’était pas nécessairement son leitmotiv. Le temps l’a changée, elle et sa façon de créer. Elle affirme que la pratique du yoga lui a permis de toucher à des valeurs d’humilité.

« Je me suis mis dans une posture d’apprentissage et d’écoute de soi et ce qu’il y a autour de soi. Prendre conscience que l’écoute et le regard permettent d’entrer en contact. C’est une médiation aussi. En écrivant Trou noir, j’étais beaucoup plus décentrée. La question dans le livre c’est davantage parler ou ne pas parler, et, si on le fait, à qui, comment et à propos de quoi. « 


Roxane Desjardins

Trou noir

Les herbes rouges

152 pages