
Voici un ouvrage qui tente le grand coup de faire se concilier des histoires nationales à la fois divergentes, différentes, parfois croisées, en d’autres temps parallèles. À travers les neuf chapitres qui constituent la trame de Québécois et Autochtones, François-Olivier Dorais et Geneviève Nootens tentent de voir ce qu’il serait possible d’apprendre les uns des autres et de tracer comme destin commun sur la base d’un partage de territoire.
Dans les diverses parties de cet essai, il en est quatre qui sont en fait des entretiens menés avec Marie-Andrée Gill, Gilles Bibeau, Kenneth Deer et Denys Delâge. On peut voir là le désir d’engager une conversation qui ne soit pas uniquement tenue entre spécialistes des sources écrites. Une « histoire à parts égales », concept cher à Gilles Bibeau et à d’autres, est ici sans doute en formation, donnant une voix à des écrivains et des militants autochtones comme à des sommités plus directement issues du monde de la recherche conventionnelle.
Il est intéressant de voir comment on en vient, nous, lecteurs, à naviguer à travers tout cela. Car, enfin, il s’agit de marier la réalité du Québec vaincu et colonisé avec celle de son passé colonisateur. D’où la difficulté à doser la recherche et à vaincre un certain déni. La formule, lapidaire et bien sentie d’Anna Mapachee, à savoir que c’est bien plus le Québec qui est né dans son pays au lieu d’elle qui serait née au Québec, frappe l’imagination.
On le comprend aussi à voir combien la relation avec l’Autochtone a varié selon les impératifs et les besoins du moment. On s’interroge un peu aussi à savoir si les rappels de certains selon le fait que nous étions frères et peuples alliés dans les premiers temps de ce qui était quand même une occupation ne sont pas une vision quelque peu idyllique de nos relations, visant à atténuer un vague sentiment de culpabilité. Nous n’aurions, en plus, selon d’autres, rien à voir avec la position de dominés qu’occupent maintenant les peuples autochtones. Tout proviendrait du régime fédéral du Canada.
Alliances et savoirs
En fait, il est vrai que les impératifs du moment, combinés à la présence française assez peu importante en terre d’Amérique, ont su présider à des alliances et des savoirs partagés. Mais cette période, on pourrait la voir se terminer vers le milieu du 17e siècle, survient au moment où une politique de peuplement et de colonisation se met en place. L’âge du commerce des fourrures, pour lequel la collaboration autochtone était importante, commence à céder la place à un nouvel âge. À l’autre bout de cette ère, on peut opposer le début du Canada britannique, alors qu’il importe de plus en plus aux élites de bien marquer que le Canadien bientôt plus adéquatement qualifié de Français, qui se distingue de ses alliés autochtones, de manière à ne plus être apparenté à ces « Sauvages ».
Dès lors, toute marque de métissage ou d’échanges possibles est ardemment rejetée. Les années récentes montrent une résurgence de ce métissage revendiqué et quelque peu fantasmé. Tout cela laisse encore pendante la question du double statut du Candien-français devenu Québécois, à la fois colonisateur et colonisé. Tout cet aspect reste à explorer. Quoique des réponses aient été partiellement fournies par Dalia Giroux dans son livre L’Oeil du maître.
Entrer ces deux périodes, tout le 19e siècle demeure une sorte de terre vierge. Pendant ces années qui vont de la Conquête jusqu’à la Confédération et la naissance du Canada moderne, sans parler de la Loi sur les Indiens de 1876, quelle place a-t-on accordée, dans l’imaginaire et la société canadienne-française de l’époque occupée à survivre en situation délicate, à la question autochtone?
Cet essai nous mène donc à ces portes qui devraient nous en apprendre plus sur nous et ces alliés de la première heure. Mais il y a encore, dans l’imaginaire québécois, encore bien des choses à accepter; notre passé est bien teinté d’un relent de colonialisme et il vaudrait bien, non pas culpabiliser à ce propos puisque c’est bien inutile, mais reconnaître cet état de choses pour ce qu’il est. Et penser la nation et le territoire en prenant en compte de cette réalité.
Sous la direction de François-Olivier Dorais et Geneviève Nootens
Québécois et Autochtones. Histoire commune, histoires croisées, histoires parallèles?
Éditions du Boréal, Collection Essai, 2023
280 pages.
