
La culture numérique est un vaste champ à diviser, à cultiver et à récolter. L’ouvrage Art, publics et cultures numériques. Flux d’images et vie des œuvres y parvient en partie, mais a également laissé sur sa faim notre critique Sylvain Campeau.
Avec le titre de son introduction « L’art, au regard des cultures numériques », Alexandrine Théorêt, qui codirige l’ouvrage avec Suzanne Paquet, résume assez bien son propos. Au gré de sept chapitres que se partageront les Christine Ross, Analays Alvarez Hernandez, Mechtild Widrich, Suzanne Paquet, le duo Lachlan MacDowall/Kylie Budge, Julie Vaslin et Enrico Agostini-Marchese, on ira des espaces publics investis par le numérique, à des questions d’art public et de données accessibles, en transitant par des cas singuliers d’œuvres en leur rapport avec le flux qui les génèrent ou les suggèrent à notre attention.
La difficulté de l’ouvrage tend d’ailleurs à savoir négocier entre le nouvel environnement numérique, la description des paramètres que les réseaux sociaux lui assurent, cette configuration bien singulière qui donne un cadre particulier au sein duquel des œuvres et des actions artistiques émergent. La séparation en trois sections, l’accompagnement de prestations artistiques de Devora Neumark et Public Studio, minutieusement décrites, montrent bien la difficulté de l’ouvrage. Espaces publics, Plateformes (photographies) et Urbanités sont en fait des partitions poreuses, débordant les unes sur les autres.
Le texte de Christine Ross, qui prend comme point d’entrée les œuvres d’Isuma présentées à la Biennale de Venise en 2019, représente sans doute l’idéal de ce que veut accomplir cet essai, globalement. Il s’inscrit au centre de tout ce qui peut se passer présentement au sein de l’art contemporain, préoccupé par les questions de l’hyperconnectivité des publics jointe à l’attention portée sur les questions de décolonisation des peuples et des esprits.
De même, celui d’ Analays Alvarez Hernandez, sur la question du déboulonnage des monuments offrant révérence à des personnages contestables, est aussi d’actualité. En lui, des concepts perdureront et nourriront sans doute des analyses et réflexions à venir : le « connective turn » qu’a pris notre époque, la mémoire prosthétique que créent ces nouveaux agents de mémoire. Ou alors, dans le texte suivant, cette belle formule de Mechtild Widrich dans son texte sur des interventions et performances d’artistes roumains dans une ère post-Ceaușescu, statuant sur « l’homogénéité algorithmique de l’opinion ».
Actuel
Pareillement, le texte sur le travail d’appropriation citationnelle de Michel Campeau, reprenant Les Américains de Robert Frank, de Suzanne Paquet est à lire pour qui veut se faire une idée d’une pratique tout ce qu’il y a d’actuel en ce moment dans le monde des arts visuels. Est à lire aussi le chapitre que consacre Julie Vaslin sur l’évolution des graffitis dans les villes tels qu’ils en viennent à être récupérés par le pouvoir municipal et à apparaître sur le web comme outils promotionnels.
J’espérais tout de même en apprendre un peu plus sur l’histoire d’Instagram au cours de ma lecture du cinquième chapitre, résultat d’une écriture à deux mains par Lachlan MacDowall et Kylie Budge. Je reste pareillement sur ma faim alors que l’essai se termine sur le travail d’Enrico Agostini-Marchese sur l’utopie des cités intelligentes, confrontée à la réalité de l’usage des données publiques dont les GAFAM de ce monde sont tant friands.
Est-ce parce que tout cela est moins d’intérêt pour moi, qui suis plus féru de questions artistiques et d’oeuvres décrites et étudiées? Suis-je moins féru en ce qui a trait aux questions de réseaux sociaux et d’intelligence artificielle? Peut-être! Mais je retiens surtout de ce dernier bloc qu’il se caractérise par des affirmations soutenues par une mise en contexte insuffisante. Des assertions sont énoncées avec un aplomb catégorique, dont on serait plus convaincu si la description de ce sur quoi elles reposent avait été plus décisive et plus élaborée!
Suzanne Paquet, Alexandrine Théorêt (direction)
Art, publics et cultures numériques : Flux d’images et vie des oeuvres
Les Presses de l’Université de Montréal
Art +, 2023, 207 pages
