
Publié par Boréal, La Laurentie en fleur est un rêve devenu réalité, celui du frère Marie-Victorin de créer, après La Flore laurentienne, un monographie facile d’accès pour un public élargi. Avec un amour du sujet bien réel et un aussi grand respect du vivant.
Voilà un ouvrage exquis, dont la facture aurait plu à l’auteur. Car celui-ci n’a jamais pu faire autre chose que de rêver d’en voir un jour la parution. Cette Laurentie en fleur, Marie-Victorin a certes désiré l’écrire. Il en avait le projet mais cela ne s’est pas concrétisé. La Flore laurentienne est donc restée son unique ouvrage écrit en solo, oeuvre-phare majeure, somme scientifique dont la réputation est faite et la renommée, certaine. Puis, c’est la création du Jardin Botanique de Montréal qui l’a occupé. Mais il aurait souhaité pouvoir réaliser un livre plus léger, « bréviaire charmant », « guide aimable », écrit-il au sujet de ce livre espéré.
C’est maintenant chose faite. Et dans un format et une facture des plus agréables! Yves Gingras et le frère Gilles Beaudet l’ont concocté à sa place, à partir de textes déjà produits par le naturaliste québécois, essaimés ici et là, dans différentes revues, au cours des ans. Autour de cette sélection réfléchie, on retrouve, greffés ça et là dans l’ouvrage, des extraits de La Flore laurentienne, sous la forme de dessins et de descriptions plus scientifiques et plus typologiques. L’arsenal méthodologique se trouve ici mis au service d’un essai moins austère, plus vivant, révélant l’enthousiasme et la passion de ce botaniste un peu improvisé (car il n’avait pas de diplôme universitaire au départ), mais tellement appliqué et sérieux.
Les dessins, en provenance du livre-maître, sont ceux de son confrère et ami, le frère Alexandre Blouin, professeur de biologie au Mont-Saint-Louis, dont il a toujours vanté le talent, composé manifeste d’une science étendue en la spécialité et de connaissances sûres en matière d’illustration scientifique. Le livre naît ainsi, presque 80 ans après la mort tragique de son auteur, ce qui est peu banal.
Évidemment, dans le style d’écriture, il y a quelque chose qui correspond à l’esprit du temps où ces textes furent écrits. Une sorte de grâce un rien surannée en émane. Mais on sent que l’émotion n’est pas forcée, que l’amour de son sujet est réel. Que l’auteur est réellement imbu de la mission de faire apprécier l’environnement floral et sylvestre du sol laurentien. Il le sent comme une sorte de royaume où les signes d’une volonté divine sont manifestes. Il est assez curieux que cela puisse rejoindre notre sensibilité d’aujourd’hui alors que tant de cueilleurs et de cueilleuses de tous horizons se penchent de nos jours vers le sol des forêts et champs pour y trouver de quoi se régaler.
La vie des arbres
Il est en plus intéressant de tracer un parallèle avec Peter Wohlleben, ce forestier allemand dont les livres sur les arbres ont connu tant de succès. Les styles de chacun d’eux ne pourraient être confondus tant il se ressemblent peu. On sent chez cet ingénieur des forêts l’effort de donner vie à ces êtres de feuilles et de bois. Son effort de vulgarisation le fait même verser dans un animisme sensible, tant est puissant son désir de montrer comment vivent et interagissent ces êtres vivants, comment tout cela forme un ensemble qui s’ auto-régule en quelque sorte.
Il n’en va pas tout à fait de même avec Marie-Victorin. Chez lui prime la volonté de faire œuvre scientifique, de s’inscrire dans une rationalité typologique et classificatoire. Le frère des écoles chrétiennes s’inscrit dans une lignée de naturalistes et de botanistes. Il est décidé à donner ses lettres de noblesse à une discipline scientifique. Il sait être à la fois en train de composer une sorte de nomenclature des types floraux et sylvestres de son coin de pays et de poser les fondements d’une vie scientifique dans un pays où beaucoup de choses, du point de vue de l’éducation et de la recherche, sont encore à faire.
Mais, chez l’un comme chez l’autre de ces hommes que tant d’années séparent, on perçoit une même détermination; celle de montrer comment tout est lié. L’un comme l’autre montre une connaissance intime du cycle des saisons, des états différents de la sylve et de la flore, selon le moment de maturation dans lequel elles se trouvent. Les deux cherchent à décrire un système d’échanges et d’harmonies. Un système dont le cycle outrepasse la durée de nos vies humaines, à l’occasion.
Le lecteur de La Laurentie en fleur a donc entre les mains un ouvrage qui a été longtemps désiré. En lui, revit un autre Marie-Victorin. Ce n’est plus le fondateur du Jardin Botanique, l’initiateur d’un intérêt pour la botanique, l’auteur de l’oeuvre majeure qu’est La Flore laurentienne qu’on a sous les yeux. C’est le fervent amoureux de la nature et de ses richesses, celui qui s’extasie devant tant de beautés et de merveilles. Et qui célèbre la magnificence du vivant!
Frère Marie-Victorin, La Laurentie en fleur, Montréal, Éditions du Boréal, Collection « Essais et documents », 2023, 224 pages.
Textes inédits choisis et présentés par Yves Gingras et le frère Gilles Beaudet
Avec des illustrations originales de la Flore laurentienne
