Granma. Trombones de La Havane est présentée aujourd’hui et demain au Monument-National, ainsi que les 2, 4 et 5 juin à Québec.

Stefan Kaegi et Rimini Protokoll (Berlin) nous refont le coup d’un théâtre documentaire qui surprend par l’étendue et la générosité de son regard. Deux ans après 100 % Montréal qui avait révélé aux spectateurs montréalais du FTA des aspects insoupçonnés d’eux-mêmes, Granma. Trombones de La Havane nous propose un voyage dans le temps qui ne tente nullement de justifier une idéologie ou une autre, mais de comprendre où en est la population cubaine aujourd’hui avec ses désillusions et ses rêves.
Milagro, Daniel, Christian et Diana, quatre jeunes gens qui vivent toujours à La Havane, se racontent sur scène en s’inspirant de l’histoire de leurs grands-parents qui ont vécu pleinement la révolution cubaine dans les années 50. Enfin, certain.e.s plus que d’autres, puisque le grand-père de Daniel a été ministre sous Fidel Castro et celui de Diana, musicien plutôt errant, voire absent.
Entre ces deux pôles, c’est l’histoire de Cuba qui se déroule en accéléré. Les expériences personnelles des membres du quatuor offrent un panorama sans préjugés ni pathos eu égard à ce qui se passe sur l’île depuis plus de 60 ans maintenant. Rien n’est occulté – les dérives du système, la crise du logement, la pénurie de denrées, etc. – ni surexposé ou embelli par la fiction. C’est du pur théâtre documentaire.
Bien huilée, la pratique de Rimini Protokoll apparaît ainsi juste, pertinente. La vie des révolutionnaires cubain.e.s et de leur descendance fait apparaître une noblesse des sentiments des un.e.s et des autres. Elles et ils ne cherchent pas à se justifier. Elles et ils nous prouvent que la réalité n’est jamais toute noire ou toute blanche. Surtout à Cuba. Rien n’est parfait dans une perspective sociopolitique, mais ce sont quatre jeunes Cubain.e.s lucides, drôles et déterminés qui nous parlent franchement.
Une musicienne qui gagne bien sa vie et qui enseigne les rudiments du trombone à ses trois partenaires de scène, un cinéaste d’animation qui sait manier l’ironie, un ingénieur informatique fier de son papi, toujours vivant, soldat de la révolution et un historienne en herbe qui avoue que les idéaux révolutionnaires du passé sont disparus, mais qui croit possible d’en créer de nouveaux.
La pièce possède la franchise de ces « personnages » et celle des moyens du bord avec toute la symbolique qui peut parfois s’y rattacher: une machine à coudre devient un instrument sonore, un bidon d’eau en plastique, un bâton de baseball, et les trombones, des armes… Une théâtralité inventive émerge ici des « manques » avec une dramaturgie basée sur les lignes de temps familiales qui se croisent par moments. Quelques adresses directes au public, des projections et de la musique complètent ce portrait instantané de Cuba.
Granma. Trombones de La Havane se refait un Cuba à sa façon. Rien de grandiloquent ou de propagandiste. Sinon, un certain idéal communautaire qui nous dit qu’entre pauvreté et utopies, il reste des jeunes femmes et hommes qui rêvent de continuer tranquillement – référence est d’ailleurs faite à la « révolution » québécoise des années 60 – à vivre et changer ce qui doit être changé dans une ville, un pays comme bien d’autres. Ni enfer ni paradis.
En pensant à hier et en rêvant de demains différents. La révolution cubaine est morte, vive la révolution!