Littérature: France Vézina et l’avenir du monde

En 50 ans d’écriture, France Vézina s’est faite rare. Chaque offrande de sa part s’avère donc un cadeau tombé du ciel. La poète, dramaturge et romancière (Osther, le chat criblé d’étoiles) marche, d’ailleurs, toujours la tête en l’air, tentant de capter l’indicible. Avec Le génie de l’enfance, paru à l’automne, elle démontre encore une fois sa pertinence, son extrême sensibilité et sa foi en la force des enfants pour sauver le monde.

C’est l’histoire d’une mamie, Nanette, et de son petit-fils, Alexis. Ensemble, ils affrontent et triomphent de la méchanceté, de l’égoïsme, voire de la misanthropie, virus officiel du monde moderne. Entre l’infini du cosmos et un présent sublimé, Nanette fabrique un cocon pas tout à fait indestructible, mais assez confortable pour deux et même trois, puisque son frère imaginaire, Ariel, raconte aussi sa vision de la vie de sa sœur, celle qui souhaiterait que le temps soit élastique.

Plutôt solitaire, Nanette slalome entre les maladies de l’âge et un imaginaire débordant. Pendant qu’elle est alitée, elle arrive à comprendre la naissance de l’univers. Elle emprunte aux religions et aux mythologies pour se créer une singulière carte du ciel. Elle aime les arbres, les animaux, les enfants et tous le lui rendent bien. Ainsi, même attaquée par de sombres humains, elle persiste à vivre son éblouissante « présence dans l’univers ».

Inspirée par Alexis, qu’on peut voir comme le pendant masculin de son Alice dans Osther, la grand-maman retourne doucement en enfance, devenant, elle aussi, un personnage ducharmien. La langue est luxuriante. Tout est permis et possible dans cet objet purement, délicieusement littéraire. Ce qui se vit et se pense possède également sa doublure dans l’infini. Et comme le dit simplement Alexis: « Dieu c’est tout et c’est rien ».

« Dans un miroir, de temps à autre, apprendre à ne plus se reconnaître. Se détacher de soi. Faire comme si on était sur le bord de ne plus exister. Devenir doucement transparente. Disparaître dans la joie. »

La poète n’est jamais loin de la philosophe et de la romancière chez France Vézina. Son écriture en spirales possède un faisceau large qui semble repasser aux mêmes endroits, mais pas vraiment. Le récit précise et approfondit constamment une pensée généreuse et profondément humaniste.

Malgré toutes les blessures causées par des égocentriques, des maladies subies ou à venir, des froids, des paradoxes et des indifférences, il suffira donc de traverser le miroir de temps à autre pour alléger le tragique. La romancière expose la peur et les inquiétudes, la fragilité des êtres et du vivant dans toute leur beauté. Les météorites abrasifs ne feront que passer et iront se perdre dans le lointain, si on garde espoir.

C’est ce que soufflent à l’oreille de Nanette, Alexis et Ariel, chacun à leur façon. Le roman aurait pu se perdre dans un trou noir de vide et de tristesse absolus, mais grâce à l’équilibre des lignes narratives, le lecteur est emporté dans un voyage interstellaire qui devient de plus en plus vivifiant à mesure que l’on s’avance et que l’on s’élève.

 » Sous les étoiles, on sent tout le ciel se pencher sur nous, nous aspirer, nous soulever, nous ravir jusqu’à lui. On se déplie, on s’étire dans l’espace-temps. On sort de soi. On marche à pas légers sur la Voie lactée dans un corps intemporel qui ne pèse plus rien. On prend lucidement la pleine mesure et la démesure de ce que l’on est, pas grand-chose, à vrai dire, pour ne pas dire rien du tout, et pourtant, ce presque rien infiniment complexe, sensible, éphémère est conscient d’être aussi vieux que l’Univers. »

En équilibriste avertie, France Vézina marche sur un fil très mince entre le désespoir total et la joie intense. Lentement, patiemment, elle tisse un monde bien à elle. Au sens figuré et littéraire, elle est cette étoile qui ne finit jamais de naître.