
Le premier roman du poète et directeur littéraire au Noroît, Patrick Lafontaine, s’intitule simplement Roman. Comme dans « fiction » ou encore dans le prénom d’un personnage du livre. Il n’y a rien de simple puisque tout se dédouble à l’infini. Cet objet littéraire fort particulier, publié aux Éditions Pleine lune, raconte un périple apparemment hyperréaliste, mais aussi intérieur que poétique. Dépaysement garanti. Captivant.
Un personnage nommé Patrick Lafontaine quitte son job, Montréal et l’ordinaire pour l’aventure. Il se lance sur les routes américaines à la recherche de sa copine, Diane, qui travaille à San Francisco. Comme dans tout bon road story, le narrateur se découvre lui-même d’abord et avant tout. Le décor changeant symbolise ses doutes, ses fantasmes, ses grands malheurs et petits espoirs.
Au fil des kilomètres, l’improbable survient, le fantastique n’est pas loin et la mémoire vient mêler les cartes de ce tarot imaginaire. Patrick Lafontaine nous glisse entre les doigts constamment. L’auteur s’en amuse, le narrateur moins. Il n’y a que le compagnon de route, le chien PaulMa, comme dans Paul-Marie Lapointe, qui garde le museau dans la réalité.
De plus, entre Diane et Roman, un énigmatique étudiant de Patrick, le cœur du narrateur balance. Il tergiverse entre le désir très réel d’enfant de Diane auquel ne souscrit pas Patrick et l'(ir)réalité trouble, développée entre le maître et l’élève. Alors qu’on croyait le cerner, ce narrateur non fiable se joue de nous. Il souhaite à tout le moins nous faire croire que l’auteur et le narrateur, à un moment précis, ne font qu’un.
« Pourquoi m’être inventé un enfant russe? J’ai entendu mon nom me dire: écris un roman – il voulait cacher ma faiblesse; puis il dit encore invente un homme digne. Je l’ai donc choisi russe et tente depuis d’être à sa hauteur. Et par quel égarement dans l’étang m’enfoncer avec lui à la page 95? il est ce que je me refuse comme un chien apeuré au moindre son. »
À d’autres moments, de courts poèmes ajoutent au mystère stylistique sans interrompre totalement le récit. Le fil narratif réussit à tenir la route dans un monologue intérieur éclaté. Le rythme est soutenu et les pensées inattendues du narrateur nous le répète: « la lecture offre une jouissance sans mémoire – celle du moment même de l’apparition d’un monde ». Soit.
C’est une autre façon de dire au lecteur: laisse aller, amuse-toi, n’essaie pas de tout comprendre. Que le voyage est plus important que la destination. Que les mots, le langage et la pensée, même sauvage ou déprimée, indiquent la direction ni plus ni moins. Et c’est déjà beaucoup.
« Des clôtures blanches, édentées, sans fin nous font la course; un arbre dort, solitaire; un vélo jaune; un vélo rouge; le cardiogramme bleu de l’horizon – puis les maisons, les cabanes, les piscines, terrasses, prisons, danseuses, les unes sur les autres, serties de caméras, de barreaux, de loquets, de chaînes, de crocs… tant de peurs cloîtrées dans des accessoires d’un film de cul. Je ne veux pas savoir pourquoi, ni ne peux garantir que je saurai l’expliquer avant la fin, mais, comme une banalité, je me sens près des Américains dans cette façon de protéger le déficit qui les perd. »
La route ne sera pas de tout repos: accident, maladie, motels moches et rencontres louches. Mais, dans le fond, les Patrick Lafontaine sont des manipulateurs nés. Auteur et narrateur nous enfoncent dans un labyrinthe dont on ne peut/veut plus sortir en autant qu’on accepte les règles du jeu.
La beauté de la chose, on le pressent, sera la relecture et la (re)réjouissance. À peine plus de 100 pages et des dizaines de couches narratives à se gratter la tête, à sourire et à être tenu en haleine. Pour le plaisir des mots. Et les Patrick Lafontaine rient dans leur barbe… à papa!