
Le premier recueil de nouvelles du poète Mattia Scarpulla suit le chemin déjà débroussaillé par cette écriture singulière qui se promène entre l’Italie et le Québec. Au propre et au figuré puisque les contrées ne renvoient parfois qu’à l’imaginaire. Ses histoires ont la bougeotte comme ses personnages quelque fois perdus entre l’insouciance adolescente et un âge adulte peu attirant. L’auteur possède un esprit et un style vivifiants.
Mattia Scarpulla est un peu à l’image des personnages de son premier recueil de nouvelles, Préparation au combat, quelqu’un qui bouge, qui s’active, voire qui déménage. Finissant son doctorat en études littéraires, il est déjà docteur ès arts en danse, poète (deux recueils à L’Harmattan: journal des traces et hallucinations désirées et origines en fuite – , créateur de spectacles littéraires, animateur d’ateliers corporels d’écriture et directeur de la revue en ligne Le crachoir de Flaubert.
Les huit nouvelles de son recueil nous présentent des personnages, jeunes pour la plupart, qui ont adapté une devise pouvant ressembler à « une seule chose ne change pas dans la vie, le changement ». Ces jeunes gens de tous les milieux, souvent Italiens d’origine, ne sont jamais seuls et ne peuvent pas rester en place. Ils ne le supporteraient tout simplement pas.
Donc, ils voyagent ici et ailleurs. Québec, Turin, Tel-Aviv, Rivière-du-loup, notamment. Ils sont à la fois égocentriques et dépendants. Ils sont tourmentés par en-dedans, mais d’une insouciance déconcertante qui peut choquer. Ils changent de lieu et de peau comme ils respirent. L’amitié et l’amour? Ça se prend et puis ça se jette, comme dirait le chantre français mort en Italie.
La nouvelle qui donne son titre au recueil est à la fois une fable sur la disparition-apparition d’enfants – rappelant le climat insolite du thriller espagnol des années 70, Les révoltés de l’an 2000 -, et sur l’apprentissage sexuel. En général, les filles s’aiment et se jalousent entre elles, les garçons se chamaillent presque tout le temps.
Mattia Scarpulla sait aussi créer des atmosphères étranges, même si les récits semblent, à prime abord, hyperréalistes. Dans plusieurs textes, des strophes viennent attirer le lecteur vers un une parenthèse poétique et/ou onirique. Un monde parallèle vécu par les personnages, dans leur tête et leurs tripes.
« Amas d’air d’eau et de chairs suspendus dans la nuit Une vague secoue un corps qui se réveille en nageant dans le ciel Deux étoiles lui demandent une danse Le corps accepte Ils dansent ensemble De petits poissons couvrent toute la surface d’un autre corps Ils l’accompagnent loin du Saint-Laurent Loin de toute terre émergée Le corps apprend la langue des poissons Il vit un siècle sur une île déserte. »
La jeunesse décrite ici a soif et a faim. Elle veut tout voir, sentir, ressentir et vivre avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’il ne faille devenir des êtres responsables et se battre, avant d’exploser à cause d’un attentat ou de traverser la rue les yeux fermés.
Ce portrait de groupe, auquel l’auteur n’échappe pas, étant lui-même au centre de la nouvelle Vacances italiennes, fait en quelque sorte l’éloge de la fuite. Si la situation se corse, si l’ennui est au détour d’un regard, si un tout fait penser à un rien, il n’y a qu’à partir, quitter avant de se faire quitter.
Les phrases sont courtes, le rythme soutenu. Le français n’est pas la langue maternelle de l’auteur et c’est ce qui fait, en partie, son charme. Même si l’intrigue se déroule par ici, un subtil dépaysement esthétique se produit. Sans comparer le jeune auteur aux expériences d’un Samuel Beckett ou d’un Agota Kristof avec le français, le fait d’écrire dans une deuxième langue peut offrir à la fois une neutralité et un entre-deux où le français semble « hanté » * par l’italien.
Dans la majorité des nouvelles, le narrateur est omniscient, implacable et acéré dans ses descriptions des personnages. Ailleurs, les images irréelles et les métaphores abondent, laissant le lecteur dans un entre-deux parfois saisissant.
« Margherita a réuni Valentina et Sara parce qu’elle veut agir. Nous devons rentrer en Italie. Nous devons donner l’exemple aux autres expatriés. Nous devons partager nos expériences à l’étranger. Nous devons essayer de changer les choses avant que la dictature ne s’installe définitivement. Margherita n’a pas prononcé une seule de ces phrases. Elles sont là, implicitement, dans les pas de Sara qui tourne en rond, dans la sueur sucrée sur leurs peaux, dans l’odeur caramélisée de bois brûlé qui les enveloppe, dans le contact des cuisses de Valentina et de Margherita contre un trottoir bouillant. Ce trottoir qui menace bientôt de s’effondrer ou de se liquéfier. »
Certes, il y a du plaisir dans la transformation, le changement, les découvertes et les belles surprises qui découlent souvent des pérégrinations des unes et des autres. Un paysage à couper le souffle, une relation sensuelle impromptue, la fête perpétuelle. Les personnages sont placés en état d’alerte, le lecteur également.
Mais derrière cette fausse légèreté causée souvent que par le plaisir du moment, les nouvelles déploient un mal de vivre, une peur du lendemain. Alors pourquoi ne pas tirer du fusil sur la foule, faire l’amour comme on mange de la pizza ou se péter la gueule sur un manège en mouvement.
Ah, la vie ce n’est pas ça? C’est quoi alors?
Cosa? Niente.
Mattia Scarpulla, Préparation au combat, Hash#ag Éditions, 165 pages.
*Martine Paulin, Langue maternelle et langue d’écriture in Hommes et migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires, numéro 1288, Paris, 2010.
