
Présentée chez Duceppe, la pièce Disparu.e.s (August: Osage County) met en scène une famille dysfonctionnelle américaine qui aurait pu tout aussi bien être québécoise. La mort du père fait ressortir la vérité se cachant derrière chacun des membres du clan Weston, la mère et des trois sœurs. Marie-Hélène Thibault joue l’aînée, Barbara, qui refuse de disparaître.
Après Héritage, voici Disparu.e.s chez Duceppe. Cette pièce de l’Américain Tracy Letts traite aussi d’une famille cependant moins tissée serrée. Autant dans Héritage, l’honneur et la fierté veulent triompher, autant dans Disparu.e.s, les membres la famille ne se reconnaissent plus tellement les mensonges ont totalement recouvert leur existence.
Dans les deux pièces, le père de famille disparaît, mais la mère toxicomane de Disparu.e.s, Violet Weston, n’a rien de la sage Lena Younger dans Héritage. Marie-Hélène Thibault interprète Barbara Weston, l’aînée de trois sœurs dans cette famille de petits bourgeois blancs complexes, pour ne pas dire complexés.
« Quand la pièce a été crée à Chicago, indique la comédienne, j’ai l’impression qu’ils l’ont joué un peu plus comique. Il y a de très bons punchs, mais il y a quelque chose de désespéré et de sombre dans le texte. Letts a écrit ça juste avant la crise financière de 2008 et il décrit tous les maux de l’Amérique. Ça parle beaucoup de maintenant. »
Son personnage de Barbara porte beaucoup l’ironie, voire le cynisme de l’auteur. C’est une femme qui rugit tout en étant très fragile. elle vit séparée de son mari et éleve une fille, disons, difficile. Disparu.e.s (traduction de Frédéric Blanchette) c’est la famille traditionnelle qui se décompose sous nos yeux, malgré les efforts de chacune des sœurs.
« Elles se demandent ce qui s’est passé parce qu’elles ont une nostalgie de quelque chose de plus grand, qui les transcende. Ont-elles manqué leur vie parce qu’elles sont malheureuses de ce que leurs parents ont été et ont fait? »
Un couple dysfonctionnel peut-il donner autre chose que des enfants manqués?, peut-on aussi demander. S’il y a transmission dans la famille Weston, ce n’est pas celle de la délicieuse recette de tarte aux pommes de grand-maman.
« C’est une sorte de transmission de la méchanceté entre les femmes, note Marie-Hélène Thibault. C’est dangereux d’avoir une vision très romantique du passé. Je me demandais, en voyant la pièce Tout inclus [l’excellente pièce documentaire présentée à La Licorne sur la vie des personnes âgées en résidence], si les gens se lavaient beaucoup plus souvent dans le temps avec l’eau chauffée sur le poêle que maintenant. »
« Au début de la pièce originale en anglais, ajoute-t-elle, l’auteur Tracy Letts a noté une citation qui dit à peu près ceci: les parents ont l’impression d’avoir donné quelque chose aux enfants qu’ils veulent ravoir à la fin de leur vie et c’est la seule raison pourquoi ils veulent garder les enfants près d’eux. Et on appelle ça de l’amour… »
Cette sorte de mercantilisme de l’amour filial n’a rien de très noble. Mais c’est un aliment très nutritif pour une actrice comme Marie-Hélène Thibault. « Ça me permet d’avoir une vue d’ensemble plutôt que de capoter juste sur moi-même et mon rôle », fait-elle en riant.
Tel mère, telle fille?

La mère, jouée par Christiane Pasquier, est une femme qui a l’impression de s’être fait voler sa jeunesse et sa carrière en ayant été mère de famille. Un sacrifice en quelque sorte. Ses enfants se sentent ainsi responsables, sinon carrément coupables de son sort . « Pour moi, ma Barbara fait un voyage vers l’affranchissement puisqu’elle voit qu’elle a quelque chose de sa mère », estime l’actrice.
Comme dans tout texte dense et solide, les personnages de Disparu.e.s ne sont ni tout blanc ni tout noir. Humains, quoi. La pièce peut être, par moments, d’un comique noir et, surtout, d’une grande richsesse psychologique.
« René Richard Cyr [le metteur en scène] a cherché, au lieu de tenter de créer une espèce de faux réalisme, à y mettre un côté plus théâtral, de rendre la pièce plus grande pour qu’elle se rende aux gens. Comme il dit, la parole est importante dans cette pièce où les gens sont toujours en train de se disputer. »
Les personnages secondaires agissent, pour leur part, en éléments déclencheurs qui font exploser la famille. Si ce n’était déjà fait. « Christiane Pasquier dit que les spectateurs vont trouver que leur famille est très saine à se comparer aux Weston », souligne Marie-Hélène Thibault.
Le texte de Tracy Letts mise beaucoup sur l’inattendu de situations mélodramatiques et montre le côté attachant des personnages devant la vérité qui leur échappe constamment.
« Barbara, je l’adore. Elle a des répliques merveilleuses. Elle peut poser un regard sur ce qu’elle est en train de vivre tout en étant profondément dedans. C’est extraordinaire de jouer ces personnages à la fois tendres, fragiles, blessés, méchants. »
Barbara est comme un modèle pour ses autres sœurs, interprétées par Evelyne Rompré et Sophie Cadieux, mais elle, qui n’est jamais sortie de l’ombre du père, apprendra aussi des choses qui la feront chavirer. Plusieurs couches de mensonges ont enfoui cette famille dans le déni et l’hypocrisie avec le temps.
Comment survivre à la vérités après tant d’illusions? Comment ne pas disparaître?
« Chacune de ces femmes a vécu une vérité différente de celle des autres. Les parents de cette famille étaient en guerre et c’est à qui fléchirait le premier. Tout ça, sans que les enfants en soient totalement conscientes, quoiqu’elles aient vécu dans la même maison. »
Quelle famille!
Disparu.e.s est présenté chez Duceppe du 23 octobre au 23 novembre.