La société des poètes disparus de Tom Schulman, traduit par Maryse Warda, mise en scène par Sébastien David, a été présentée au théâtre Denise-Pelletier du 20 mars au 26 avril dernier.

Cinq minutes après le début de la pièce La société des poètes disparus, on a oublié le film réalisé par Peter Weir en 1989 et mettant en vedette l’inénarrable Robin Williams. L’adaptation théâtrale se tient bien droite, toute seule, grâce à une belle réussite de groupe : mise en scène, interprétation et scénographie.
Dès le départ, la conception scénique de Jean Bard (prix de la critique 2017-2018) évoque la froideur et la discipline d’un collège américain des années 50, la Welton Academy. Un escalier monumental occupe toute la scène, qui pourra devenir, c’est selon, l’entrée de l’institution, une salle de classe ou la grotte où se réfugient les élèves du professeur Keating afin de recréer la dite société des poètes disparus.
Keating (effervescent et fort attachant Patrice Dubois) use de techniques pour le moins discutables au sein d’une institution qui valorise surtout la force et l’honneur. L’enseignant, qui autrefois étudiait au même endroit, s’éloigne du programme traditionnel pour encourager ses élèves à devenir des libres penseurs, loin des dogmes éducatifs, familiaux ou sociaux de l’époque.
En créant des micro-climats et en utilisant judicieusement un écran géant en arrière-plan, le metteur en scène Sébastien David transforme le plateau en véritable terrain de jeux où les mots peuvent émerger, où la poésie peut respirer et la pensée se développer.
Sa direction d’acteurs fait valoir les talents étincelants des jeunes Mustapha Aramis, , Maxime Genois, Simon Landry-Désy, Étienne Lou, Anglesh Major, Alice Moreault et Émile Schneider. Jean-François Casabonne et Gérald Gagnon complètent la distribution en « méchants de service ».
L’énergie brute de la jeunesse, sa soif d’appendre et de vivre envahit la grande scène de Denise-Pelletier. Le professeur Keating plante dans le cerveau d’élèves avides de connaissance les germes qui en feront éventuellement des jeunes hommes généreux et éclairés. Si, et seulement si, la bride du conformisme, du rendement économique et du retour sur investissement était relâchée. Ce qui n’est évidemment pas le cas ici. Arrivera, aussi implacable qu’une chaîne de montage, le drame que l’on sait.
Avec ce texte (traduit par Maryse Warda) et la magnifique proposition théâtrale qu’on en tire, impossible de ne pas y voir une lucarne s’ouvrir sur ce qui se passe maintenant en Occident, ailleurs et ici même, dans l’obscurantisme ambiant et la dictature des majorités.
Ce qui, hier, dans cette Amérique qui a éduqué des gens comme Donald Trump, où la poésie, la pensée libre et la différence devaient être aplanies à tout prix pour contrer des épouvantails fabriqués de toute pièce comme la montée du communisme ou l’omni-puissance de la pensée critique, ressemble aujourd’hui aux mêmes couleuvres qu’on veut nous faire avaler, même si leur couleur a changé.
Non, rien n’a changé. C’est toujours l’autre, l’intellectuel, le pas-rapport, l’artissss, l’étranger qu’on veut exclure ou ranger dans un enclos de pestiférés. Parce que le « danger » est imminent, que la « fierté » est à son plus mal, que l’élite veut nous faire taire. À ceux là, le poète Walt Whtiman dirait simplement de suivre l’exemple des plus courageux d’entre nous. Dans le film comme dans la pièce, on reprend les vers qu’il a composés en l’honneur d’Abraham Lincoln.
Le père et le directeur d’école dans la pièce font penser aux dirigeants actuels qui bombent le torse, se donnent de viriles poignées de mains et se drapent dans des drapeaux comme vierges offensées. Comme victimes de progressistes qu’ils trouvent autrement risibles et du laisser-faire des uns et des autres. Cette majorité pas du tout silencieuse, tonitruante, clame qu’elle a perdu son droit de parole et de cité, alors que ce n’est qu’elle qu’on entend.
La peur, la très grande peur dominante, les aveugle. Ils feront tout pour l’amadouer, la piétiner, pour retrouver leur confort et leur indifférence. Peu importe si un fils se suicidera, incapable de faire fondre l’iceberg paternel. Pourvu que ce père et ses semblables aient enfin leur sainte paix.
La société des poètes disparus c’est l’école qui forme des citoyens, pas des employés ou des consommateurs. C’est l’école du rêve, qui dit que l’espoir reste possible, souhaitable. C’est l’école des esprits encore frais, cherchant à se révéler à l’âge ou c’est encore possible. Après, il sera trop tard. Le cycle du capitalisme financier les aura enjôlé/enrôlé dans le tout-calculé-d’avance.
Le message de La société des poètes disparus est celui-ci : rien ne sert d’écouter les marchands de tapis ou les alarmistes de tout crin si vous n’entendez pas votre propre voix. Celle qui chuchote doucement, malgré le bruit et la fureur de la haine: il n’y a rien de plus beau que le plaisir de penser par soi-même en étant, humblement, à l’écoute du monde. Apprendre, toujours apprendre. Jusqu’au tombeau.
