
À La Licorne, Annabel Soutar et Porte-parole démontrent encore une fois qu’ils conduisent la locomotive du théâtre documentaire québécois avec Tout inclus. Le texte joué et interprété par François Grisé résulte d’un séjour que l’artiste a fait en résidence privée pour aînés. Une expérience à la fois ardue et éclairante, laissant entrevoir la triste dépossession vécue par les personnes âgées lors de l’ultime étape de leur existence.
Le déménagement de ses parents en résidence pour aînés a amené François Grisé à se remettre en question. Devant les difficultés d’adaptation de son père et sa mère à cette nouvelle réalité, l’artiste a eu l’idée d’un projet novateur, endossé par Annabel Soutar, de séjourner pendant un mois en « centre d’accueil ».
Son adaptation ne s’est guère mieux déroulée. L’artiste s’est vite senti prisonnier dans un studio de travail et un système contraignant où la liberté est une marque de yogourt.
Les premiers jours lui ont été très difficiles, voire pénibles. Puis, il décide de changer de stratégie. De passif, attendant que les résidents viennent à lui pour raconter leur vie, il se met à faire des entrevues plus formelles où les personnes âgées se laissent aller peu à peu avant de se livrer sans inhibition.
François Grisé ira de révélation en révélation sur les pertes de jouissance qui jalonnent la vie des personnes âgées « pus capable » de tenir maison, mais suffoquant dans une vie désormais calculée au quart d’heure, d’activités réduites au minimum et d’un libre arbitre évanescent. Physiquement et mentalement, ils vivent une inéluctable dépossession.
Tout n’est pas que noir en résidence. L’amitié y surnage et les plus optimistes s’en tirent toujours avec le sourire, même si l’infantilisation les guette tous. Pour les autres, malades ou vivant avec un.e conjoint.e diminué.e, le fardeau n’en est que plus grand.
Usant de grand panneaux amovibles, la mise en scène d’Alexandre Fecteau est sobre et efficace. Il tire le maximum de ses excellents acteurs que sont Marie Cantin, Marie-Ginette Guay et André Lacoste qui interprèetent plusieurs personnages très différents. Quoiqu’il ne possède pas le charisme naturel de Christine Beaulieu (J’aime Hydro, de la même compagnie), François Grisé est d’une sincérité désarmante.
L’auteur-comédien et Annabel Soutar posent les bonnes questions sur le dernier refuge des personnes âgées. Ils font intelligemment le tour de la thématique en mettant le point sur les « i » et tirant les conclusions qui s’imposent.
Comment en est-on arrivé là?, demandera François Grisé à la fin. Non pas qu’il y matière à scandale et aux hauts cris des chroniqueux de tout acabit. La sagesse des aînés fait souvent rire durant le spectacle, mais leur intelligence nous confronte aussi à leur croissante solitude.
Comment peut-on être aussi peu préparés comme adultes face à une fin de vie qui n’épargnera personne? Comment se fait-il, comme société, qu’on défende encore un modèle dépassé et déshumanisé du vivre-ensemble? Pourquoi dénicher un centre d’accueil est considéré comme un exploit et la seule obligation des enfants envers leurs parents vieillissants?… Devant les situations exposées, on souhaiterait que des alternatives plus humaines soient recherchées et explorées.
De nos jours, quand on voit des publicités de mégacomplexes urbains pour aînés vanter le pseudo-pouvoir et la toute puissance des personnes âgées, on se dit qu’on frôle carrément le cynisme. Il est clair dans la pièce que dans un tout inclus il semble manquer l’essentiel.
François Grisé suggère qu’il faut modifier considérablement notre façon de voir la vie des gens du troisième âge. Ce qui est devenu un business très lucratif pour certains reste un problème pour la majorité. Alors, à qui profite la dépossession des aînés?