Littérature: Bouffée d’air

*16e Prix littéraire des collégiens*

Ce qu’on respire sur Tatouine, Jean-Christophe Réhel

Le premier roman du poète Jean-Christophe Réhel, Ce qu’on respire sur Tatouine, renvoie au style de l’autofiction. Plus fictive qu’autobiograpĥique, sans doute, mais écrite d’un souffle cohérent, drôle et vivifiant.

Les écrivains passent parfois pour fous, paranoïaques, névrotiques, narcissiques, à tout le moins « spéciaux », au pire, antisociaux. Le narrateur de Ce qu’on respire sur Tatouine, lui, est atteint de fibrose kystique. L’auteur, Jean-Christophe Réhel, aussi. Nul besoin de feindre, dans son cas, pas d’échappatoire ni de faire semblant. La maladie change tout, mais ne gâche absolument rien.

Ce qu’on respire sur Tatouine décrit le réel (sans jeu de mots) d’un gars ordinaire qui n’en fait pas une maladie… de sa maladie, même si sa vie est pratiquement inénarrable. D’une simplicité désarmante, sous certains aspects, mais également d’une complexité interminable en raison d’une condition qui exige de nombreux séjours à l’hôpital.

Parmi ses mésaventures, le narrateur quitte ses études universitaires de mandarin et se fait poser un cathéter le jour de l’Halloween. Il aime déjeuner Chez Rémi ou au McDo. Le jeune homme écrit aussi de la poésie et boit pas mal de Chemineaud. Il travaille au Super C, quoiqu’il rêve de devenir chanteur rock, pilote d’avion ou ambulancier.

Cracher sa vie

Constamment fatigué, il crache sa maladie à la dérobée où et quand il peut. Il adore sa soeur, qu’il visite à New York, sinon il s’est entiché de « Julie ou Sophie peu importe » qui ressemble, dans ses fantasmes, à Amidala (personnage de Star Wars). Cet attachant grand amateur de cinéma sait donc rêver, imaginer, espérer. Sa perception du monde slalome entre l’innocence d’un enfant surdoué et la lucidité d’un vieillard ayant vu et vécu.

Jean-Christophe Réhel réussit, ainsi, son passage de la poésie à la fiction en ce qu’il reste fidèle à sa voix singulière, marquée par des poumons récalcitrants, mais surtout, l’acuité de son regard. Sa voie, il l’a tracée dès son premier recueil, Bleu sexe les gorilles (L’écrou) qui sera suivi par deux autres, Les volcans sentent la coconut (Del Busso) et La fatigue des fruits (L’oie de Cravan).

« chiens argent de février/les cimetières trop pleins fumaient l’infini/la chute en tapisserie camouflait le bruit/des coups de canon que tu me tirais dans l’dos/& même après trois chaudières d’eau/le feu s’est pas éteint » (Bleu sexe les gorilles)

Fibre poétique

Le néo-romancier conserve la qualité de sa fibre poétique dans une langue simple. Les phrases sont courtes, les paragraphes longs et les chapitres inexistants. Sa parfaite maîtrise du rythme s’appuie sur un humour constant et un regard décalé. Il transforme ainsi ce qui aurait pu relever de l’apitoiement sur soi en grand art.

Dans sa plongée en apnée, l’auteur partage avec le lecteur sa combinaison d’astronaute. Il nous fait découvrir les incongruités, le rigolo, l’incompréhensible des petits gestes, des grandes peurs ou des fines lâchetés. L’auteur a beau, dans sa propre peau, avoir l’impression de respirer du sable comme s’il était sur la planète Tatouine, il ne cherche jamais à nous contaminer.

La plume intersidérale de Jean-Christophe Réhel dérive souvent, flotte gracieusement et nous délivre des lois de la gravité terrestre. Sur son étrange planète, il démontre une noblesse de petit prince qui nous offre une bouffée d’air inattendue.

« J’ai encore mal à ma dent de sagesse. Elle pompe comme un cœur. J’aimerais avoir une dent à la place du cœur, je sentirais quelques chose, oui. Je n’arrête pas de toucher ma langue avec ma langue et mes doigts. Je pense que ça empire à cause de ça, je ne sais pas. Je mange des Lucky Charms. J’aimerais qu’il neige dans ma dent. Normand installe des lumières de Noël dans le seul arbre du terrain. Je trouve que Normand fait pitié tout seul dehors. Je l’aide à décorer l’arbre et il est content. Joe Pesci pas de dents et Macaulay Culkin pesant deux cents livres qui s’entre-aident dans la préparation de Noël, c’est beau. » (Ce qu’on respire sur Tatouine)

Jean-Christophe Réhel, Ce qu’on respire sur Tatouine, Del Busso, 288 pages