DANSE: L’essentielle proximité

En toutes lettres est fier d’accueillir une nouvelle collaboratrice, Nathalie de Han, qui, à compter de maintenant, nous entretiendra, notamment, de danse. Bienvenue Nathalie.

In-Ward, photo: VanessaFortinPhotographe

L’audacieuse artiste hip hop québécoise Alexandra ‘Spicey’ Landé’ poursuit son avancée chorégraphique avec une nouvelle mouture bi-frontale de In-Ward, l’œuvre qui lui a valu le Prix de la danse – Découverte 2019. Entrevue. 

Nathalie de Han

L’interprète chorégraphe Alexandra ‘Spicey’ Landé a dirigé le festival Bust a Move; l’événement devenu rapidement la compétition de danse urbaine la plus en vue au Canada jusqu’à la fin de 2015, année où ‘Spicey’ décidait de fonder sa propre compagnie, Ebnflōh. In-Ward, sa deuxième création sous cette bannière, prend sa source dans la pièce Huis-clos de Jean-Paul Sartre et demande si, à notre époque parfaitement Instagrammable, nous ne sommes pas tous dorénavant condamnés à vivre dans le regard des autres.

Pour In-Ward, Alexandra ‘Spicey’ Landé a retenu la thématique de l’emprisonnement et le phénomène étouffant du huis-clos. Un premier individu expérimente la solitude dans un groupe ou choisit de s’isoler en lui-même; une autre est victime d’intimidation ou de sexisme, un troisième de racisme. Blessés, à fleur de peau, ils sont comme des bombes à retardement. Entre élan d’ouverture et défiance, comment tous ces êtres coexisteront-ils?

Avec un rire, Alexandra ‘Spicey’ Landé acquiesce : « Oui, les membres de l’équipe se sont courageusement jetés dans les profondeurs obscures de la psyché humaine, individuelle et collective, et c’est en référence à ces zones effrayantes et aliénantes, que nous avons tous en nous, que j’ai intitulé la pièce In-Ward » (Le mot anglais ward faisant ici référence aux dortoirs d’hôpitaux ou d’asiles psychiatriques).

In-Ward, photo: Melika Dez

In-Ward a été créée en janvier 2019, à la galerie du MAI. Alexandra ‘Spicey’ Landé commente, à l’évidence satisfaite de la nouvelle destinée de sa création: « Le fait d’avoir pu amener In-Ward plus loin, à l’étape de l’Agora, est significatif pour moi car même si la galerie du MAI est un endroit que j’adore et auquel mon parcours est lié depuis toujours, l’endroit demeure assez confidentiel et réservé aux initiés, avec une toute petite jauge ». Dans la galerie du MAI, la scène avait trois côtés. L’Espace Orange de l’Agora au WILDER permet plusieurs options et la chorégraphe a choisi de l’adapter en bi-frontal.

« Le spectacle s’adapte aux lieux où il est présenté et comme nous l’avons bien rodé et que nous avons eu la chance que l’Agora nous octroie une semaine de résidence, la production a beaucoup mûri depuis plus d’un an ». Est-ce que c’est le principe de la scène à l’italienne qu’il faut éviter? La réponse de la chorégraphe est catégorique : « Non! Dans une des salles du Circuit Est et à la Salle Multi du Complexe Méduse à Québec, ça a parfaitement marché… La proximité amène beaucoup au spectacle et il faut respecter cet ingrédient – il est essentiel ».

Après une pause, Alexandra ‘Spicey’ Landé reprend : « Recevoir le prix Découverte après vingt ans de pratique fait certainement réfléchir sur l’écologie du milieu de la danse, mais je suis très heureuse que mon travail soit reconnu et, de plus, je suis enchantée que cette visibilité donne envie de découvrir mon travail et celui de mon équipe à de nouvelles personnes ».

In-Ward, photo: Melika Dez

De la rue à la scène

Car, dans la tradition de la danse de rue et comme cela se fait de plus en plus dans le milieu de la danse contemporaine, Alexandra ‘Spicey’ Landé est pleine de gratitude envers les six interprètes-créateurs de la distribution. « J’ai une véritable dette envers eux car cette pièce est par moment très inquiétante – les interprètes plongent au plus creux de leurs angoisses intimes et le public le ressent au point d’en étouffer.»

Elle-même d’origine haïtienne, la chorégraphe Alexandra ‘Spicey’ Landé souligne l’importance de voir sur nos scènes, pour des jeunes issus de la diversité, des interprètes eux-mêmes issus de la diversité, afin qu’ils se reconnaissent en eux. « Je suis consciente du privilège que la scène m’accorde et je suis fière de pouvoir mettre ce principe en pratique dans ma compagnie, Ebnflōh ».

Lorsqu’on lui demande comment elle souhaite conclure l’entretien, ‘Spicey’ lance, avec un authentique bonheur : « J’ai envie de dire : le milieu de la danse découvre enfin mon travail, je suis heureuse… Nous sommes là, venez nous voir! ».

In-Ward, photo: Melika Dez