
Le deuxième roman de Katerine Caron, Pourquoi m’enfermez-vous ici?, étonne et attendrit. C’est une oeuvre de générosité et de bienveillance. L’autrice est également poète et met, au service de cette histoire hors de l’ordinaire, sa capacité de perpétuel émerveillement face au fonctionnement du cerveau humain.
Dans la mythologie, Pénélope, femme d’Ulysse, s’occupe à tisser et détisser en attendant le retour de son mari. C’est une femme rusée qui saura reconnaître son homme, après dix longues années, parmi les prétendants à un possible remariage dans l’éventualité de la mort d’Ulysse.
La Pénélope de Pourquoi m’enfermez-vous ici? s’atèle aussi aux grands travaux, ceux de la reconstruction de son cerveau. Enfermée dans un hôpital et dans sa tête, elle attend le jour où elle retrouvera enfin sa mémoire et ses enfants après un accident routier lui ayant causé un grave traumatisme cérébral.
C’est Katerine Caron qui tisse et détisse les fils dans la belle et ingénieuse caboche de Pénélope. L’odyssée cérébrale de la protagoniste est affaire d’écueils, de découragement et d’espoir, aussi. D’une maille à l’endroit, elle passe à deux ou trois mailles à l’envers. Reculant bien souvent plus qu’elle n’avance durant sa lente guérison.
Bref, c’est aussi l’histoire de Sisyphe en quelque sorte. Dans ces montées et ces descentes, l’écriture fine et évocatrice de Katerine Caron nous fait entrer dans le cerveau endommagé de Pénélope. Rusée, l’autrice nous place parfois dans une incompréhension contrôlée qui est, en fait, celle de Pénélope.
« Je crache entre mes pieds et apparaît une lune immobile que je frotte contre mes paupières fermées. Une lumière intérieure, protégée des vains éblouissements, réchauffe mon ventre. La bonté retrouvée, renouvelée est un travail mystérieux. Je laisse tomber ma tête entre mes cuisses ouvertes.«
Avons-nous quitté le réel pour l’imaginaire, la prose pour la poésie? Peu importe, on pourrait simplement nommer ici un plaisir de pure littérature. Nous sommes dans le tête de Pénélope et saisissons l’émotion avant le sens. On pressent également la joie fatiguée après l’effort, une chaleur qu’amène l’écoute du corps.
Il y aura d’innombrables écueil dans ce parcours vers plus de lumière. La dépression la guette, le suicide l’effleure. Pénélope peut passer d’une idée noire à une autre, rose bonbon, en un rien de temps. Son périple nous maintient en haleine et les bras ouverts pour la cueillir si jamais elle tombe. Mais l’écriture la sauve à chaque fois.
« Ivre naturellement », désinhibée, la narratrice possède un humour saugrenu. Aussi, en dépit de la cruauté des manques et de souvenirs fanés en raison de sa tête fissurée, l’espoir garde ses « vertèbres en place, menant la narratrice à transcrire les mots doux dans un « carnet rouge du bonheur ».
Il y a des dizaines et des dizaines d’exemples de bijoux de la sorte dans ce merveilleux livre. La trame est simple comme une tapisserie de la Pénélope mythique, mais représente également un espace totalement littéraire où tout s’invente constamment. C’est dans les conjonctures du geste et de la pensée que se trouve l’essentiel, pendant ce voyage qui marie le rêve à la réalité.
Celle-ci reprendra ses droits, presque malheureusement oserions-nous dire, pour le lecteur, mais pour Pénélope aussi.
« Nous des pilleurs, des prédateurs, des objets utilitaires les uns pour les autres. Toute une vie pour tenir l’âme droite. Toute une mort pour oublier le corps. Je tombe. »
On parlera de son courage et de sa résilience eu égard aux progrès, somme toute, phénoménaux d’une femme qui n’avait plus toute sa tête. Mais dans l’enfermement où elle se trouvait, Pénélope a saisi une autre vie, celle d’une « nébuleuse dans son cerveau » et d’une « histoire d’amour sous-crânienne ».
Cette richesse prendra son temps à s’installer et, quand, Pénélope se libère enfin, les tiges de maïs deviendront ses « nouveaux compagnons » et l’oxygène son « nouvel amant ».
Quoique valeureux en soi, le combat du personnage central de Pourquoi m’enfermez-vous ici? ne peut pas mener à la Pénélope d’avant. Elle n’existe plus. Avec un cerveau rafistolé et un regard changé, la nouvelle Pénélope a les pieds plantés dans la terre noire, même si elle assume bien qu’elle aura toujours un peu la tête ailleurs. Là où tout peut survenir si on a les mots pour le dire.
Peut-être quelque chose comme l’amour, indéfectible allié de la poésie.
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Katerine Caron
Pourquoi m’enfermez-vous ici?
Leméac
250 pages