Sylvain Campeau

Sébastien Ste-Croix Dubé est directeur d’un salon de dégustation dans Rosemont. Il a déjà publié La culture du divertissement. Art populaire ou vortex cérébral?, chez Varia. Il se livrait là à une critique des arts du divertissement et de l’engourdissement intellectuel, depuis une version remaniée, de son mémoire de maîtrise. Maintenant, il s’essaie à la fiction dans cette novella aux allures de quête.
Est-ce que c’est parce que nous sommes dans une obligation de confinement? Est-ce que c’est parce que toute l’action se passe dans Rosemont où j’habite aussi? Je ne sais pas. Mais j’ai pris un grand plaisir à pérégriner dans les rues de mon quartier, suivant à la trace Adam dans son Odyssée, telle qu’elle nous est relatée dans Les Rosemonteries. Parce que c’est en une pour de vrai. Sauf, peut-être, qu’ici le narrateur ne cherche pas tant à retourner à la maison qu’à poursuivre une quête.
Et que c’est au sein même de la grande diversité de son Ithaque que celle-ci le conduit. Adam Beauchemin, peut-être un lointain frère de sang du Abel Beauchemin de Victor-Lévy Beaulieu, est un microbrasseur. Il émerge littéralement d’une longue période de travail non stop, en remplacement d’un confrère accidenté. Cette traversée du désert, qui en annonce une autre, a conduit sa blonde, Anaïs, à tout remettre en question et à le plaquer là. Il se retrouve donc un 24 juin, fin seul, avec une gueule de bois, et décide que s’évacher dans son hamac avec une bonne réserve de bière serait un bon remède à son mal de vivre.
Mais de bière, il ne reste plus rien! Le voilà donc en route vers un dépanneur où il décidera finalement que boire n’est pas une bonne idée! Et on repart vers le lieu de son travail et de son calvaire passé, pour se procurer un essentiel plus à son goût. Rendu là, il apprend que la machine à glycol, essentielle dans la production brassicole, est pétée. Il constate bientôt que les pièces brisées sont des billes à glissement dont existent peu de semblables, surtout un jour de Saint-Jean.
Le voilà donc reparti, pour plus longtemps qu’il n’avait envisagé, à la recherche de ces pièces qui permettront à sa brasserie de produire à nouveau ce nectar dont il a un besoin si urgent. Mais, comme pour Ulysse, les écueils se font nombreux. Ces pièces ne sont pas évidentes à trouver. Autour de lui, c’est la fête et il traverse des lieux bondés de gens en fête. On comprend vite que ça n’ira pas tout seul!
Il trouvera ces billes et les égarera à nouveau et il faudra vaincre de nouveaux obstacles avant de le trouver. On ne peut pas en dire plus! Ce serait vous gâcher le plaisir de tout découvrir à sa suite assoiffée. Mais ça lui et vous donnera l’occasion d’arpenter les rues de Rosemont, de rencontrer sa faune, de reconnaître certains de ces commerces, de fuguer dans certains de ses parcs en compagnie d’Adam, hallucinant avec lui sur du LSD.
Au travers de tout cela, on en apprendra plus sur lui, sur sa relation avec Anaïs, sur le drame de sa vie familiale, la mort de son frère Simon. Trouvera-t-il ces billes, un sens final à sa quête, une certaine réponse à ses questions personnelles? En partie, mais ce serait trop vous en dire!
Les chapitres sont courts, le rythme garde ainsi une certaine tension. Cet Adam nous rappelle quelque peu d’autres héros du même type : les personnages en déréliction et en rupture de ban d’un Réjean Ducharme, par exemple. Le périple que l’on poursuit avec lui est chaotique à souhait; sa quête a quelque chose d’un peu ridicule aussi, en pleine Saint-Jean. Mais comme le drame s’en mêle aussi, le ton demeure un rien grinçant et le résultat est émouvant. C’est une trentaine laborieuse que vit cet Adam, homme de coeur désireux d’abreuver les autres de fins produits houblonneux, mais quelque peu muré dans des peines dont il ignore la profondeur.
Les Rosemonteries représente pour lui une odyssée dont il sortira tout de même un peu plus sage.
Sébastien Ste-Croix Dubé, Les Rosemonteries, Éditions Triptyque, Collection générale, 126 pages