Au milieu des vivants, Josée Bilodeau

Au milieu des vivants est un roman touchant, troublant parfois, au sujet d’un deuil difficile. La narratrice a perdu son amant. Elle fuit au Mexique pour retrouver, peut-être, un sens à la vie. Pour se retrouver dans tous les cas.
Le cinquième livre de Josée Bilodeau traite d’invisibilité. La maîtresse d’un homme mariée est invisible dans la vie et après sa mort. Elle est celle qui aime à s’en oublier. Elle est amour. On pourrait croire que c’est beaucoup, mais c’est si peu aux yeux des autres, du reste du monde. Presque rien, sinon un coup d’œil furtif, une impression de déjà-vu.
Après la mort de son amant, un homme marié dont la famille ignore tout de son existence à elle, la narratrice est submergée de douleur, un mal profond qu’elle ne peut, pourtant, que vivre seule afin d’éviter de faire sombrer encore plus de vies autour.
Une injustice presque. Elle vivait corps et âme un amour fou qu’on lui a enlevé sans crier gare.
Elle décide donc de partir un temps indéfini au Mexique, pays qui sait si bien vivre avec ses morts. Le choix n’est pas anodin. Elle y a des amis. Elle expérimente déjà avec les fantômes, le sien et, bientôt, ceux des autres.
« Le temps s’étire, se contacte puis s’arrête. Je pénètre dans les salles du Musée d’anthropologie sans suivre d’ordre logique. Dans toutes les cultures qui ont bâti ce pays, l’imagerie de la mort se déploie en mille trésors: crânes recouverts de pierreries, masques colorés, costumes de cérémonie funèbre et parures; récits de limbes ou de revenants, vénération de la grande faucheuse, cultes chamaniques dans les églises coloniales de villages indigènes. La beauté et l’opulence écrivent un dialogue sans fin avec la mort.
Je cherche la partie de moi qui pourrait l’accepter, la vénérer ou même la moquer. Je ne trouve pas »
La narratrice entre dans une sorte de dialogue métaphysique avec l’homme qui lui manque jusqu’aux os. Elle écoute le nouveau pays aussi. La porte s’ouvre quelque peu. Elle attend la main tendue, la douceur, le partage. Et dans ce Mexique si festif, si vibrant, elle ressent pleinement l’absence de son amant, mais le perçoit, parfois, comme s’il vivait encore.
Des indices parsemés dans le récit nous font voir cette femme endolorie comme un spectre. Elle reprend son souffle, toutefois. Elle n’oubliera jamais le temps amoureux, mais, peut-être pourra-t-elle « revivre » le sublime connu avec son amant.
« Parfois, je ne sais plus ce qui est vrai, ni même si nous avons existé. »
Alors qu’elle reste ce fantôme aux yeux de tous, les pensées des vivants finissent par la rejoindre. Elle restera en contact avec son amant et ce sera de plus en plus une « presque » joie, la célébration de ce qui respire encore et souffle dans son cou.
Même si on la sent prête à rejoindre le défilé des âmes perdues, sa douleur fait place peu à peu à une timide renaissance, le fait d’être au monde malgré tout. À l’aide de chapitres et de phrases courtes, d’une prose élégante et sensible, Josée Bilodeau nous fait valser entre les vivants et les morts.
On referme le livre et on fixe l’œil qui nous fixe tout autant sur la couverture. Menaçant, au milieu de zébrures. Un regard fâché, même. Et si vivant.
Josée Bilodeau, Au milieu des vivants, Hamac, 142 pages.
