
Il nous est malheureusement impossible de tous les avoir et, donc, de tous les avoir lus. Contre le vide et l’oubli qui guettent les recueils de poésie, toutefois, voici les extraits de 25 livres sur/soulignés pendant cette première année d’En toutes lettres. Par ordre alphabétique d’autrices et d’auteurs.

Quelle lumière?//Quelle eau boire/tel un visage?//Des feuilles brillent/en leurs mouvements//Mais ce n’est pas là/où vivre/s’est jeté//Ce n’est pas/où rêve/un poème//Je frappe contre le sol/de nos disparitions »
Martine Audet, La société des cendres, Éditions du Noroît, 120 pages.
« quelle importance ont les secrets / quand les baies sont des cris d’alerte / jetés de-ci de-là / sur notre lenteur à mûrir » Francis Bastien, Un degré de la fugue, Éditions du passage, 80 pages.

« Que ferait-on des stigmates de l’histoire/ce long champignon de feu s’étendant sur tout le siècle/que ferait-on des perches de légendes/plantées dans les côtes et des autres/résiliences venues des récits sans âges//nous somme obligés pensais-je à une autre poétique/en mineur qui voit l’homme dans sa perte/et la douleur située au crépuscule d’une époque/c’est la vie individuelle qui porte le mythe/aujourd’hui dans ses coquilles de sang/les secrets du monde concret/inatteignable. »
Paul Bélanger, Déblais, Le Noroît, 189 pages.
« une chose: soyez mauvaises/rouez les gardiennes des pouponnières/incendiez les chevaux et les lacs/ne laissez personne en repos//divisez pour mieux régner/sucez vos pouces et les hommes/faites ce que je n’ai pas pu » Vanessa Bell, De rivières, La Peuplade, 77 pages.

« la matière est préambule/de tout oubli de soi/les choses bouches/leur appel polyèdre/exploitent une soif/de perte//les autres se brouillent/la vue s’écourte/et je se pathétiquement/noie au fond/de lui-même//serrer/errer//tout oubli charriant/la promesse maudite/d’une naissance »
Mathieu Boily, À l’eau froide les ombres, Le Quartanier, 80 pages.
« si je meurs mon amour/dis-moi que tu pourras/comme on se l’était promis/m’inventer une fenêtre froide/une sortie de secours/plus gracieuse que l’overdose/pour éviter la honte à ma mère » Emmanuel Deraps, Failure, Del Busso Éditeur, 120 pages.

« Je poursuis le dialogue des bêtes qui avancent vitesse avancent fureur la guerre nous la guerre civile qu’il faut avec la marche la soif des écroulements j’aurais froid j’aurais faim je demanderais l’asile ce serait sublime si on m’ouvrait la bouche et le territoire pris dans la glotte mes nuits à ne pas guérir c’est périr c’est aimer c’est cracher ses poumons c’est avaler de la chair qu’il en reste. »
Jean-Marc Desgent, Misère et dialogue des bêtes, Poètes de brousse, 48 pages.
« Il me rit au visage/sa bouche fissurée d’un je peux/je saisis au vol/son biceps minuscule/je veux qu’il comprenne/qu’il se souvienne » Anne-Marie Desmeules, Le tendon et l’os, L’Hexagone, 80 pages.

« arrive l’intermède- reposons-nous.//de l’arrière-scène surgit le prophète des amours appendiculaires, carton à la main, bouche en cône./le choeur d’en haut estime qu’il y aura enfin un peu d’ordre, sourire d’une chimie sans atomes; le choeur d’en bas fraîchement tombé des échelles, émiette son haschich./le silence devient masse opaque, périphéries des couleurs officielles,/nous ne savons pas comment réagir sinon nous mordiller, nouer nos cils, nous étreindre livides devant les loges. »
Jean-Simon Desrochers, Les animaux ventriloques, Les herbes rouges, 80 pages.
« je vois simplement mieux et d’autres oiseaux qui me confient des choses de la lumière se permettent de plus lents clignements//à ma jointure une perle comme une mirette, une cenne indémodable//je n’ai jamais su sûr ton visage mais la cascade de jais dans tes cheveux appelait une corneille candide » Sébastien Dulude, divisible par zéro, Le lézard amoureux, 89 pages.

« nous entreposons quelques corneilles/(des reliques) parce que les objets se cassent/nous te faisons l’amour lent comme la peste/quand ton stylo appuie fort sur notre risque/et nous dessine, bébé document.//nous souhaitons aspirer ton plus beau paysage fantôme. »
Clémence Dumas-Côté, La femme assise, Les herbes rouges, 62 pages.
« Avec désinvolture je procède au décollement des objets/sur mon flanc sépare et détache/laisse tomber par terre.//Par les trous laissés là fourre du taffatas/de la tendresse déposée en flocons/entre les côtes comme brume fine.//Je répète cette opération aux bras dans mes joues sur les jambes/et ça tait enfin les cliquetis dans ma bouche/et ça tait enfin les bruits de ma carcasse. » Isabelle Dumais, Les grandes fatigues, Éditions du Noroît, 185 pages.

« Je touche du bois, je ferme ma bouche mais je continuerai quand même à le dire dans les silences de la portée://si vous me cherchez, je suis chez nous/ou quelque part sur Nitassinan/toutes mes portes et mes fenêtres sont ouvertes//je chauffe le dehors. »
Marie-Andrée Gill, Chauffer le dehors, La Peuplade, 85 pages.
« Terre et rochers se détachent/de terre à nuque ensevelie caboche à gales/démolisseuse une pelletée à ma fenêtre/des lumières clignotent à l’année percent/une fourrure froide qui m’étrangle et m’endort/une bordée de terre me percute/tandis que je regarde dehors/par le pus des volets » Annie Lafleur, Ciguë, Le Quartanier, 100 pages.

« Tu essuies avec des pissenlits tes larmes de sang frais/maquillée de nature tu manges les racines//je me pratique dis-tu je répète//l’amertume pour une fois/pas provenue du dedans/arrachée à la terre comme un aveu intime »
Catherine Lalonde, Cassandre, Le Quartanier, 89 pages.
Mais nous savons tout des corps déchiquetés/dans les souks et les marchés publics/quand l’arôme de la poudre et du sang s’unissent/à la cannelle et au poisson frit/qu’on offre dans un cornet du même papier journal/qui raconte encore l’histoire » Annie Landreville, Date de péremption, Les Éditions de la Grenouillère, 92 pages.

« Un oiseau s’est frappé contre la vitre de la salle à dîner avec un bruit sec de clou éclaté au froid. Il a dû s’évanouir. Je ne vois de corps de plume nulle part.//Le vent se lève sur le pivot du temps. Bientôt ce sera la fonte. La lourde fenêtre d’hiver posée sur le lac disparaîtra. L’eau laissera échapper une longue phrase humide à la face du ciel. Elle bouge d’ailleurs déjà, de l’autre côté du miroir, et grince des dents. » Nancy R. Lange, Par la fenêtre, Écrits des Forges, 53 pages.
« C’était la dernière fois que je le verrais/moi-même je serais à coudre les lèvres du bruit/en un silence de glace infectée//Pascal je t’ai souvent cherché/dans les gerçures du métro guy-concordia/et je ressens encore la gentillesse de ton overdose/dans mes membres souvent/quand je sombre dans le liquide chaud/du sommeil le soir » Daniel Leblanc-Poirier, Zoo, L’écrou, 65 pages
« Je regarde tes lèvres bouger entre ciel et terre. Je ne sais pas qui se cache sous ta logique. Je t’observe handsome. Te prends pour un homme libre, taillé pour durer.//Je te donne mes eaux douces, mes carnets de présence, mes enfants jamais nés. Une oie blanche affolée entre mes côtes flottantes. » Joanne Morency, Preuves d’existence, Triptyque,75 pages

« le bruit de l’eau dans mes oreilles/et tes cuisses collées contre mes joues/comme au temps des lilas//respirer avec toi dans un lieu calme/respirer avec toi dans un lieu clos/je dors de mille sommeils de planteur d’arbres. »
Charles Quimper, La fleuve, L’oie de Cravan, 57 pages.
« l’offrande soulève l’océan/abysses/je ressens les tourbillons/fruits rouges le désert/je crache/eaux de vie mes fétiches/je vends à crédit le poème/aux esprits » Rodney Saint-Éloi, Nous ne trahirons pas le poème, Mémoire d’encrier, 120 pages.
« Encore à ton chevet comme une petite servante aux cadavres portant le linge humide sur tes tempes. La bougie me garde éveillé, je règle mes pas sur ton souffle. Les meubles ne s’adressent à personne. Au-dessus de nous mes confidences nous nettoient, transforment le sang en eau.//La maison est vivante. » Emmanuel Simard, avec des photos de Nicolas Lévesque, La maison est vivante, Poètes de brousse.

« Une crainte en moins et les vents contraires restait ma soif d’eau juste – en suspens comme un thé déserté, j’imaginais des navires trempés dans un temps qui n’existe plus. »
François Turcot, Souvenirs liquides, La Peuplade, 81 pages.
« J’attends le thé du soir/pour appeler les chaperons brûlés vifs/la honte de mes cuisses dans une vieille maison//si j’ai peur je renifle/les morts sur un tabouret//et l’odeur du bois vernis me rassure. » Laurence Veilleux, Elle des chambres, Poètes de brousse, 84 pages.
« quand on me dit que je suis trop trash/on me dit que mon trop peu de capital culturel/que mes manières de fille de la beauce/que ma jeunesse à servir de la bière/à des monsieurs cassés en deux par la vie/que mon expérience du réel ne vaut rien/of course que ça ne vaut rien/of course que je suis trash/je m’appelle maude veilleux veilleux/veilleux ma mère/veilleux mon père/je ne bois jamais de negroni/mes papilles n’ont pas développé d’intérêt pour ce goût/j’aime juste les huîtres en canne pis le thé trop infusé/je parle de ma chaise de pauvre/ma chaise dans mon garde-robe/assise juste à côté du chauffe-eau//Trash is politic. Pas juste une esthétique pour faire cool. Si on a l’air d’une gang de toxicos, c’est peut-être aussi parce qu’on vient de milieux pauvres. Qu’adolescent.es on a commencé à s’automédicamenter parce qu’il n’y en avait pas des psys dans nos écoles de région.//Et, on est des poètes. »
Maude Veilleux, Une sorte de lumière spéciale, L’Écrou, 89 pages

A toutes et tous, une très bonne année poétique en 2020!