
En toutes lettres poursuit sa série de lectures poétiques avec Louise Dupré, figure majeure de notre littérature, poète, romancière et essayiste.
Confinée chez elle comme beaucoup de gens, Louise Dupré continue d’écrire. Elle n’est pas plus créative qu’avant, ni moins d’ailleurs. Après son roman Théo à jamais, paru en février, son prochain livre sera un recueil de poésie.
« Ce n’est pas comme la prose. En poésie, il y a toujours des épiphanies et des silences. Comme dirait Duras, quand on fait face à un bloc dur, il faut le casser. On y arrive et on avance. Ça fait longtemps que je suis confinée. Je consacre mon temps à l’écriture depuis 10 ans. »
« Généralement, poursuit-elle, je passe de la poésie à la prose. Ce sont des dispositions différentes de l’esprit. Après un roman, je sens le besoin de revenir à la poésie, à une écriture moins disciplinée. Le roman demande plus de régularité, sinon nos personnages nous le font payer. Ils nous boudent », fait-elle en riant.
Son roman Théo à jamais poursuit le questionnement de Louise Dupré, entrepris dans Plus haut que les flammes, sur le IIIe Reich.
« Qu’est-ce que j’aurais fait si j’avais vécu à cette époque? La main hantée répondait un peu aussi à la question de la cruauté. Personne n’est étranger à ce phénomène. Si on veut, Théo représente le troisième volet des livres précédents, mais écrit d’une façon moins philosophique et plus sociologique. »
« La main hantée » de Théo est celle par qui survient le drame dans ce cinquième roman. Le jeune homme tente de mettre fin à la vie de son père sans explication aucune. Louise Dupré nous confie qu’elle est un auditrice fidèle de l’émission française Faites entrer l’accusé qui essaie de comprendre ce qui se passe dans la tête des meurtriers.
« Si on mettait ça dans un roman, les lecteurs diraient qu’on exagère. Je suis fascinée par la capacité de l’être humain de passer à l’acte. Je m’intéresse à l’âme humaine. Que ce soit en poésie ou en roman, je me rends compte que je me retrouve souvent face à un mystère. L’autre est une espèce de mur sur lequel on se bute, mais pas toujours heureusement. »
Louise Dupré écrit au « je » dans ce roman où la narratrice tente désespérément de comprendre les raison des actions de Théo en se demandant : « combien de personnes sommeillent en une seule personne? » Par contre, dans ses deux derniers recueils de poésie ainsi que dans le le prochain, le « tu » est à l’honneur.
« Se tenir à distance de soi fait qu’on est moins pris par l’autocensure et la pudeur. Ça permet d’aller plus loin. Dans cette espèce de creux entre soi et l’autre qu’on est, il y a davantage de possibilités. Il y a beaucoup de choses dans ce « tu ». Il permet au lecteur de prendre le propos à son compte. Je sens que j’ai plus de jeu quand j’écris au « tu » en poésie. Quand je plonge dans les racines de l’être humain, j’ai l’impression parfois d’être dépersonnalisée. L’autre et soi deviennent indifférenciés. Nous sommes tous les mêmes. »
À la lire depuis des années, on se rend compte que Louise Dupré écrit, dans le fond, avec bienveillance. L’écrivaine fouille, cherche, tente de comprendre. Elle n’est pas une femme désespérée, mais lucide.
« J’aime laisser à l’être humain sa chance. Je ne porte pas d’accusations. Je n’ai pas de point de vue moral quand j’écris. Je cherche une position philosophique, sociologique ou psychanalytique. J’essaie d’ouvrir la compréhension. Je ne voulais pas que Théo soit un roman psychologique, que l’on trouve des explications à son geste. Toutes les réponses sont bonnes bonnes à ce propos. Mais comment survit-on à ça? Pour moi, toute la question de la vie c’est comment faire avec? »
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Louise Dupré
Théo à jamais
Héliotrope
240 pages