LITTÉRATURE: Thriller littéraire

Paru il y a un an chez Héliotrope, le roman L’annexe de Catherine Mavrikakis s’avère une lecture parfaite pour cette fin d’été puisque l’année littéraire 2020 a été réduite à sa plus simple expression jusqu’ici. C’est donc le temps de retomber sur nos pattes comme, ci-haut, ce chat du café des artistes. Véritable lieu de rendez-vous pour les amant.e.s de littérature.

Anna est une espionne. En danger de mort à cause de sa dernière opération secrète, elle est replacée par son organisation tout aussi clandestine dans un appartement sécuritaire où un petit groupe de personnes sous protection, pour diverses raisons, doivent vivre, Sans sortir de L’Annexe qui se trouve, sait-on jamais, peut-être même située à Montréal.

La référence à Anne Frank n’est pas fortuite. La narratrice a visité plusieurs fois l’appartement-musée où la jeune écrivaine a vécu ses ultimes années à Amsterdam. Notre James Bond féminine, efficace et rusée, ne multiplie cependant pas les conquêtes comme l’agent 007. Elle a, par contre, toujours été une âme conquise par ses premières amours, les livres.

Personne n’est à l’abri éternellement, comme l’histoire l’a démontré pour Anne Frank, dans une telle cachette. Le gardien des lieux, Celestino, est d’ailleurs soupçonné de travailler pour l’ennemi. Comme son « amie », l’espionne Anna, c’est aussi un amoureux fou de littérature.

L’agente très secrète surnomme dans sa tête les autre occupants du refuge. Ainsi, on reconnaît Meursault (L’étranger de Camus), un couple de vieux russes bourgeois (personnages de Tourgueniev), Charles Morel (À la suite du temps perdu, Proust), Gregor Samsa (La métamorphose de Kafka) et le chat d’Anne Frank, Moortje, alors que Celestino compare Anna à la reine Greta Garbo.

Le cinéma et les arts visuels occupent également l’esprit d’Anna et de Celestino, faux couple un brin sado-maso, mais assez symbolique de l’amour-haine que se portent bien souvent les membres d’une vieille union. Pendant qu’autour d’eux, comme chez Agatha Christie, les personnages tombent un à un, de faux suicidés ici ou vrais empoisonnés là. Qui sera la prochaine victime?

Dans cette annexe à l’ambiance délétère, Anna est prise au piège et n’aperçoit plus d’issue. Son « journal » n’occulte rien de ses doutes et de ses angoisses. Elle tombera malade et s’en remettra complètement à Celestino et à la littérature.

« Celestino pouvait donc, tout en voulant nous rendre obéissants et soumis, souhaiter que nous passions de beaux jours dans son Annexe. En fait, je ne doutais pas de la bienveillance de Celestino. Mais je ne doutais pas davantage de sa cruauté. L’humain est capable à la fois du meilleur et du pire et, quand les deux s’entremêlent, quelque chose d’extrêmement jubilatoire vient réjouir les pervers que nous sommes. »

Tout à fait! Ce paragraphe résume aussi bien le récit que ce qu’en fait Catherine Mavrikakis.

Ce roman a surgi clairement d’un esprit vif et brillant, tel celui d’un chat qui joue avec les souris que nous sommes. Proies consentantes aux délectables renvois littéraires et artistiques tout au long du livre. La style sans fioritures de l’autrice nous maintient sur un pied d’alerte. Et on peut y voir moult références, allusions, voire allégories.

Il nous séduit particulièrement d’imaginer la romancière elle-même dans un cocon littéraire – d’ailleurs l’appartement de L’annexe croule sous les livres – dont elle ne peut/veut pas s’extirper, et ce, pour notre plus grande joie. Comme pour Anne Frank et, dans une moindre mesure, son personnage Anna, on soupçonne que la lecture et l’écriture restent parmi les plus importantes motivations de Catherine Mavrikakis.

Quelque chose qui pourrait paraître enviable pour beaucoup d’entre nous, mais qui peut s’avérer fort périlleux face aux dures réalités d’un quotidien si peu enclin à la rêverie et à l’imaginaire. Et même dans un roman où tout le monde s’épie et reste sur ses gardes. Mais la professeure Mavrikakis est là aussi pour nous faire aimer les livres.On le sent bien.

Ce thriller original fonctionne ainsi à deux niveaux; celui du récit d’une espionne en fuite, mais toujours en danger, et celui de la fiction d’Anna qui représente souvent la solitude des gens qui écrivent.

La littérature est un pays d’agents doubles, en fait, où tous les coups sont permis, surtout les plus surprenants. D’autant plus dans un huis-clos comme celui-là où les livres rebondissent comme des balles sur les murs, se heurtent entre eux et réinventent le jeu à chaque instant.

Et merci pour les suggestions de lectures, Catherine Mavrikakis!

Son prochain livre, L’absente de tous bouquets, sort le 30 septembre prochain, toujours chez Héliotrope.


Catherine Mavrikakis

L’annexe

Héliotrope

248 pages