
Nous sommes en août, le mois du cheval. Le premier roman de Martina Chumova, Boîtes d’allumettes, est fin et… allumé! Il nous éloigne agréablement des grossièretés du web porteuse de xénophobie ambiante. Une histoire rafraîchissante et édifiante à propos de la vie de gens venus d’ailleurs ayant choisi de vivre ici.
En cette terre d’Amérique depuis des siècles, nous sommes innombrables, après les Premières nations, à être venus de France, d’Angleterre, de Pologne, d’Italie, de Grèce, du Brésil, du Mexique, du Sénégal, du Liban… Martina Chumova est née à Praque en Tchéquie.
Son premier roman comprend des photos, une recette de brioche de Noël, la reproduction d’un titre de transport, des accents tchèques et des mots en français. Des mots précis et justes qui décrivent ces voyagements qui sont dépaysements, doutes, joies et questionnements.
Ce n’est pas un chant triste ni une complainte. Plutôt une célébration de la vie peu importe où l’on se trouve, celle où l’on joue près d’un boisé avec des plaques de glace au joli tintement; où l’on se lasse de mettre un accent sur une lettre que les fonctionnaires ne comprendront pas; où les appartements sont grands comme des boîtes d’allumettes.
Court roman fabriqué de fragments, le livre de Martin Chumova n’en est pas moins brillant. Du genre à nous faire relever la tête et fixer les nuages après un beau paragraphe. Afin de réfléchir comme elle le fait tout au long de pages tendres, fines, poétiques.
« Le roman, ai-je lu quelque part, n’a d’autre rôle que de décrire le passage du temps et cela m’a semblé très juste, très bien, oui, c’est exactement cela qu’il faut faire. »
Funambule, la narratrice marche toujours sur un fil mince entre émerveillement et critique. Tombera-t-elle dans la nostalgie réparatrice ou se désolera-t-elle de l’impatience de son copain Émile ? On ne doute pas, cependant, que sa force intérieure lui permettra d’atteindre le bout du chemin sans faillir. Elle écrira parfois au futur pour parler du passé, au « tu » si elle décrit les aventures de son amoureux et au « je » en parlant d’elle-même;
Déstabilisant? Pas vraiment. Tout est affaire de sensations à partager, d’idées saugrenues à révéler ou de descriptions savoureuses nous faisant voir les choses d’un autre œil. Ce regard neuf qui a été celui de nos ancêtres et qui restera celui des nouveaux arrivants, demain ou dans deux ou cent ans. Avec des mots pour dire ce que nous ne voyons plus, des images fortes et belles.
« Pourquoi j’écris encore ceci, quand chaque mot est, au mieux une roche? D’abord on doit gratter à l’endroit où elle se joint à la terre, l’en décoller. Trouver une saillie, y planter les doigts. Tirer fort, la roche bascule. On voit maintenant ses deux parties: une foncée, qui était cachée sous le sol, et l’autre, tout à fait sèche, chauffée par le soleil. La roche libérée, on la pousse un peu plus loin. On recommence avec une autre. Cela finit par faire des tas. »
Cette variante intéressante du mythe sisyphien est représentative de ce roman qui creuse, découvre, s’amuse ou s’ennuie, puis recommence. Là-bas, ici. C’est la même terre, les mêmes humains. Sourire en coin, Martina Chumova nous renvoie à la redécouverte de nos sens. Pour nous et avec les autres.
La littérature comme dernier bastion de liberté sur terre? Avec son esprit dialectique, la narratrice remet cette idée en question. Pas pour tous, peut-être. mais pour nous, les passionné.e.s lectrices.teurs, oui. Avec bonheur.
Martina Chumova
Boîtes d’allumettes
Cheval d’août
136 pages