ARTS VISUELS: Notre présence sur terre

HOMOSAPIEN ERECTUS, 2020, Impression au jet d’encre, 71.1 x 106.7 cm, Ed 5 + 2, AP, Séries: In search of a solid ground, © Chih-Chien Wan

Chih Chien Wang en est à sa sixième exposition dans les murs de la galerie de Pierre-François Ouellette. Dans ses précédentes présentations, il a souvent maintenu un équilibre entre images de soi, des siens, de son environnement quotidien, d’espaces naturels et de montages en version moderne de natures mortes. C’est dans ce dosage entre tous ces intérêts, dans les entrelacs de leur relations, que se tisse son dessein particulier.

Son histoire personnelle n’est donc jamais bien loin; toujours là à hanter de son ombre ses préoccupations et les images qu’il construit. Cela ne change certes pas avec cette dernière prestation. Sauf que la recherche d’un sol où planter ces racines est devenue plus existentielle et plus angoissée. Elle ne s’adresse plus non plus à un sol particulier, national, mais à celui de la terre entière. Il s’explique en cela dans un texte qu’il faut lire tant il semble avoir été écrit pour notre temps, pour ce moment bien singulier de notre histoire terrienne.

In search of a solid ground, Chih-Chien Wang, vue d’ensemble

La vie, la vie

Cela, évidemment, ne peut que colorer la suite des choses. Il y a certes, dans les images choisies, encore de ces images prises dans les moments de relâche de la vie quotidienne. On voit encore, bien sûr, Shaore, le fils de l’artiste et son bras dans le plâtre, image d’une certaine fragilité et des inquiétudes paternelles. Mais l’angoisse est plus globale, plus totale.

Elle est illustrée dans une image où des parents randonneurs ont atteint le dessus escarpé d’un immense rocher. En équilibre quelque peu précaire sur un versant abrupt, ils cherchent à se prendre en photo avec de jeunes enfants. Cela semble assez irresponsable. L’image, en plus, a été prise sur le site du Geoparc Łuk Mużakowa en Pologne. Celui-ci expose les résultats du tassement du sol par un ancien glacier et de l’effondrement d’anciennes mines. Cette initiative de récupération écologiques est certes louable mais sa prise en images forme un étrange témoignage, car l’une d’elles montre les lointaines silhouettes d’exploitations nucléaires.

LAKE IN PROTECTED LANDSCAPE AREA ŁUK MUŻAKOWA, 2020, Impression au jet d’encre,
71.1 x 106.7 cm, Ed 5 + 2 AP, Séries: In search of a solid ground, © Chih-Chien Wang

De même, l’artiste nous a habitués à des images de paysage et à des compositions qui semblent compiler les petits riens ramassés, dirait-on, lors de randonnées et de cueillette. Cela n’a pas changé. Une installation offre d’ailleurs une vidéoprojection accompagnée d’une tablée de restes de fruits racornis, desséchés. Il est d’ailleurs question, dans le texte et dans l’une des images, dont on parlera tout à l’heure, de ces fruits qui évoquent l’enfance de Chih Chien Wang à Taiwan : le longane et le litchi.

Diorama

Ce qui est cependant inattendu, ce sont les autres images qui viennent ponctuer ces séquences. Deux reprennent différemment la même situation. On y voit un spécimen d’Homo Erectus dans sa totalité, dans l’une et un détail de la même scène, dans l’autre. Qui connaît le travail de Chih Chien ne peut manquer d’être surpris. Ce n’est pas là un sujet que l’on pouvait attendre de lui. La photo a vraisemblablement été prise dans un musée d’histoire naturelle. Un reflet bleuté,  zébrant l’espace où les yeux de cet homoncule devrait apparaître, vient d’ailleurs vendre la mèche. La scène complète comprendrait, suivant l’imagination de l’artiste, un bébé couché à proximité de ce désormais père, gardien de son bien-être.

LONGAN STRUCTURE_0724, 2020, Impression au jet d’encre, 147.3 x 221 cm, Ed 5 + 2 AP et ORANGE PEEL STRUCTURE, 2020, Impression au jet d’encre, 147.3 x 221 cm & 122 x 221 cm, Ed 5 + 2 AP, Séries: In search of a solid ground, © Chih-Chien Wang

L’autre surprise prend une allure gigantesque. Ce sont trois images, apparemment en noir et blanc, dont deux forment un diptyque et allongent une même scène. Comme telles, les images semblent prises dans une fête foraine ou nous arriver depuis un monde futuriste. Mais il s’agit finalement d’un effort de modélisation et de transformation en maquette, de l’impression 3D d’une pelure d’orange, soutenue par un réseau d’étranges coulées de soutien. Ce qui devait devenir une reproduction, une maquette, une sorte de nature morte synthétique et synthétisée, est maintenant une image grand format, qui en reprend une autre, vraie pelure d’orange celle-là, faisant partie de l’exposition. Dans l’autre cas, c’est un longane qui se montre en plusieurs coques, elles aussi maintenues debout par une étrange architecture de soutènement.

Natures mortes et confessions

Cette légère différence, en ces ajouts singuliers, peut paraître anodine. Mais cela me semble exprimer une certaine mélancolie et peut-être annoncer un petit virage dans la pratique de cet artiste. Les images de Chih Chien Wang ont toujours été de première main. Je sais bien que les natures mortes étaient des mises en scène d’objets souvent organiques. Mais cet aspect, du moins, d’organicité, jumelé au fait que fleurs et aliments semblaient des restes de célébration, de rencontres, de soupers conviviaux, en faisaient des expressions vitales.

STEMS AND ORANGE PEELS ON CARDBOARD, 2020, Impression au jet d’encre,
71.1 x 106.7 cm, Ed 5 + 2 AP ,Séries: In search of a solid ground, © Chih-Chien Wang

Comme le semblaient être aussi ses pièces vidéographiques, où dialogues et confessions essentielles trouvaient, pour se dire, des bouches qui n’étaient pas toujours celles des sources originales. La présence de ces prises de diorama et de ces simulations tridimensionnelles de fruits, semblent témoigner d’un certain changement. Auparavant, il en allait un peu comme si cette construction de témoignages devait nous convaincre que les récits de vie peuvent bien se passer d’une personne à l’autre, tant ce que nous pouvons vivre en vient finalement à se ressembler. Ne sommes-nous pas tous, d’une certaine façon, construits par des codes culturels? Cela ne finit-il pas par composer ce que nous sommes? À former notre identité?

Est-ce cette crise majeure qui nous frappe et qui fait douter tout un chacun? Cela se pourrait bien! Et cela dépasse le cadre un peu plus individuel dans lequel l’artiste déployait sa pratique. C’est à un univers plus global que cette quête s’intéresse maintenant, à quelque chose qui relève de notre présence sur cette terre. Chih Chien Wang semble maintenant s’interroger sur la trop grande ampleur que tout cela prend, sur le sens à donner à tout cela que nous faisons et défaisons, et qui nous fait… et défait!

 In search of a solid ground, Chih-Chien Wang, vue d’ensemble

Chih Chien Wang, In Search of Solid Ground, Pierre-François Ouellette Art Contemporain, du 19 septembre au 6 novembre 2020