
Covid oblige, le Théâtre de La Manufacture rebrasse les cartes et propose la captation de la comédie satyrique Fairfly, du dramaturge catalan Joan Yago, dans une mise en scène de son compatriote Ricard Soler Mallol, dès demain – dans l’attente impatiente de la réouverture du théâtre et l’espoir de directives moins draconiennes de la Santé publique.
Connaissez-vous Ricard Soler Mallol ? Ce Catalan au cursus remarquable et atypique s’installe à Montréal en 2014. Il signe rapidement la mise en scène de Manifeste (2016), un spectacle de rue à grand déploiement écrit par Jean-Frédéric Messier (Momemtum), qui a depuis fait le tour du monde, puis celle d’Intersections (2019) un spectacle interdisciplinaire, au Théâtre La Chapelle.
C’est ce même Ricard Soler Mallol qui est allé trouver Philippe Lambert, le nouveau directeur artistique et général de La Licorne, mais également de La Manufacture, pour lui proposer Fairfly, une comédie créée par une des compagnies les plus prolifiques et les plus appréciées de Catalogne, La Calòrica.
Fairfly campe quatre jeunes professionnels dans la trentaine qui, voyant leurs emplois menacés, repensent à une idée d’affaire qu’ils ont eue, quelques années auparavant. Et s’ils se lançaient et révolutionnaient le monde ?
La rencontre des comédiens
Ricard Soler Mallol a vu Fairfly à Barcelone l’année de sa création, en 2017, et il a eu un coup de foudre.
» Le texte de cette comédie est un bijou dramaturgique ; son canevas est d’une extrême précision et puisque l’intrigue campe l’univers des start-ups et de l’entrepreneuriat, j’ai pensé que le sujet pourrait fonctionner à Montréal comme ça a été le cas à Barcelone », commence le metteur en scène.
Interpellé par la pièce, Philippe Lambert pense immédiatement aux comédiens du Projet bocal et il invite Ricard Soler Mallol à aller les voir en action. Hasard du calendrier, ils jouent justement le convaincant Perplex(e) de Marius Von Mayenburg à la Petite Licorne.
Le metteur en scène craque tout de suite pour le collectif augmenté. Il recherche précisément la rare connivence, l’intelligence qui les unit.
» Le langage commun qu’ils ont développé et qu’ils partagent fait ressortir la quotidienneté des dialogues de Fairfly, l’engrenage de l’intrigue et les ressorts dramatiques du texte « , élabore-t-il, emballé.
Comme du papier à musique
Les quatre acteurs et metteurs en scène qui forment la troupe de La Calorica se livrent à un travail dramaturgique et à une écriture de plateau qui colle parfaitement à l’esprit du Projet bocal et le style de La Licorne, poursuit Ricard Soler Mallol.
Le texte, traduit en français par Elisabet Ràfols et que l’adaptation québécoise de Maryse Warda a amené encore plus loin, est extrêmement exigeant et demande de la haute voltige de la part des comédiens. Compter sur ces artistes s’est révélé salvateur, surtout dans ce contexte pandémique où tout s’avère plus compliqué.
» La proposition esthétique de Romain Fabre est forte et bien appuyée par l’éclairage de Catherine Fournier Poirier – il est bon de voir des gens doués et de pouvoir se remonter mutuellement le moral avec un travail satisfaisant « .
On dit souvent qu’une comédie ne fonctionne que si elle est réglée comme du papier à musique. En tant qu’ancien professeur de flûte à bec du Conservatoire de Barcelone, Ricard Soler Mallol perçoit-il Fairfly comme une partition musicale?
» C’est ce que nous disions l’autre jour : il y a un solo, une section d’improvisation, puis une rythmique de motifs syncopés pleine de petites répliques et d’interjections qui se chevauchent… J’aime le détail de cette composition ! «
Une captation haute couture
Les représentations de Fairfly, qui devaient avoir lieu à guichets fermés du 10 novembre au 12 décembre, sont pour l’instant remplacées par les web diffusions d’une captation spécifiquement conçue selon les paramètres des concepteurs de La Manufacture et réalisée par Julien Hurteau, de chez PIXCOM. Avec lui, Ricard Soler Mallol a regardé des captations produites à Montréal, en Espagne et au Royal Court de Londres.
Comment approcher le concept de cette captation ? Comme un autre niveau de mise en scène ? Le metteur en scène tique, imperceptiblement.

» Nous allons proposer une captation de qualité; les prises de vues seront filmées à l’aide de plusieurs caméras, mais le résultat ne sera ni une vidéo, ni un téléfilm, car notre idée est bien de préserver l’essence de l’acte de théâtre . »
« Il est très difficile de comprendre pourquoi des mesures aussi excessives ont pris la culture en otage, alors que les théâtres ont tout fait pour sécuriser les salles « , regrette le metteur en scène.
Travaillant à perte, avec des jauges ridiculement réduites, les établissements ont en effet condamné un rang de sièges sur deux, installant des bulles de spectateurs par adresse, les faisant entrer et sortir par rangée, comme à l’école et portant toujours un masque.
En conséquence, avec la direction artistique de La Licorne, Ricard Soler Mallol est heureux de pouvoir proposer la captation de Fairfly, afin d’étancher un peu la soif de culture et de divertissement que tous ressentent dans le contexte actuel. Mais ce n’est pas cela, le théâtre.
» Les comédiens et moi nous sommes préparés depuis des mois pour des représentations en salle – alors, dès que nous pourrons ré-ouvrir les portes du théâtre, nous le ferons, car cette rencontre avec le public est ce que nous attendons et les spectateurs l’attendent avec la même impatience », conclut le metteur en scène.
Avec les interprètes Mikhaïl Ahooja, Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande. https://theatrelalicorne.com/