LITTÉRATURE: Se reconstruire

Des nouvelles du Canada anglais ! C’est le genre littéraire pratiqué par l’Ontarien Andrew Forbes. Son deuxième livre traduit en français s’intitule Terres et forêts. La publication de cet auteur, fan de baseball, représente un véritable coup de circuit de la part des Éditions de Ta mère. Andrew Forbes écrit avec bienveillance. Il trace le portrait des habitants de ce vaste territoire qu’est le Canada. Des gens qui traversent et qui sont traversés par un pays où tout est toujours à reconstruire.

N’importe quel lecteur situé au-dessus du 45e parallèle nord sur la carte se retrouvera dans l’un ou l’autre des récits d’Andrew Forbes. Ces forêts, ces lacs et ces rivières, on les a goûtés en villégiateurs ou en les côtoyant toute notre vie. Cette nature nous a vu naître et passer à travers des hivers interminables et des étés trop humides.

Mais c’est plus que le paysage que l’auteur ontarien saisit avec acuité et finesse. C’est l’âme des gens qui vivent dans ce pays impossible. Et ça n’a rien à voir avec la province où l’on réside, mais tout à faire avec notre différence canadienne. Notre fragilité et notre patience, nos esprits tranquilles et nos nombreuses contradictions, nos têtes rêveuses et sourires en coin.

Actuel mais intemporel, le livre se situe sur une voie parallèle à la recherche absolue de modernité. La première nouvelle, Le jour de l’inondation, parle d’un village qui disparaîtra sous l’eau pour favoriser le progrès et d’un homme qui y voit le signal du départ vers la grande ville. Tout le reste du bouquin lui démontrera qu’il avait tort en quelque sorte.

Terres et forêts n’est pas pour autant un plaidoyer anti-urbain. Il est simplement le constat que ces agglomérations ne définissent en rien ce caractère distinct qui nous façonnent depuis des siècles. Celui de l’eau, de l’air, de l’espace qui fait dire aux touristes ou aux nouveaux arrivants: « c’est si grand », « le ciel est d’un bleu », « il y a de l’eau partout ».

On y trouve d’ailleurs cette savoureuse nouvelle, Pharaons, décrivant un rendez-vous galant raté entre une femme vivant seule, au sein d’une merveilleuse nature sur le bord d’un lac gelé, et un homme fat comme un roi d’Égypte, mais d’une superficialité totale. Devant ce bel édifice de masculinité toxique, elle comprendra que sa solitude a finalement bien meilleur goût.

 » Elle tirait et glissait, retrouvant les traces de son aller. Elle skierait pour une vingtaine de minutes de plus, puis elle raviverait ou rallumerait le feu avant de décider quoi manger. Il n’y avait pas de soupe qui l’attendait. La lune brillait dans l’indifférence, et le vent était paisible. Elle est entrée dans sa baie par sa bouche de pierres, là où rien ne bougeait. Elle est arrivée à la fin de ses traces et a défait ses fixations en regardant la forme de sa maison, obscure parmi les arbres, et petite, et vide, Dieu merci, complètement vide. » page 264

Et cette autre décrivant le retour à la vie d’une serveuse dans un petit village. Abandonnée subitement par son conjoint, elle semble sur le point de sombrer profondément dans la dépression. Elle reprendra force et vie en s’inscrivant à des cours d’escrime. Belle métaphore de combat où l’esprit sportif, voire chevaleresque, l’emporte sur toute idée de violence ou de vengeance.

Il y a des paumés dans ce livre, des couples en rupture, des pères obstinés gagnés par l’Alzheimer, des exilés volontaires aux États-Unis qui reviennent au bercail… Des hommes et des femmes dont les souffrances s’estompent au fil des rires d’enfants et des promenades champêtres. Ils et elles ont tous et toutes en commun cette force latente qui leur permet de se retrouver, de s’assumer et de continuer.

A contrario du premier texte, l’ultime nouvelle qui donne son titre au recueil, Terres et forêts, décrit la vie d’un personnage de la réalité, un patrouiller forestier, Frank MacDougall (1896-1975). Il s’agissait, semble-t-il, d’un être exceptionnel ayant à cœur de protéger la nature des humains insouciants autant que les humains contre eux-mêmes.

Au moment où nous souhaitons retourner à l’anormal capitalisme sauvage en tournons le dos à la planète plus que jamais, pandémie oblige diront certains, ce livre nous fait le plus grand bien. Le style mélancolique et réflexif de l’auteur s’avère loin d’être délétère. Dans les combats solitaires contre les autres ou soi-même, les personnages se refont grâce à la simplicité des choses et des lieux.

 » Une grande leçon de vie: tu ne peux pas te défaire de qui tu es, pas pour longtemps du moins. Ta tête peut flotter hors de l’eau, t’amener à te perdre derrière tes propres yeux jusqu’à ce que tu sois convaincu d’être ailleurs, d’être quelqu’un d’autre, mais tôt ou tard, et souvent tout de suite après qu’elle t’ait convaincu, quelque chose de soudain et de bien réel surgit pour te ramener au concret.  » page 48

Dans cette traduction attentive de William S. Messier, Terres et forêts nous change d’air littéralement, nous donne envie d’aller se perdre en forêt et de se rouler dans les champs. Sans masque et sans contrainte.

Une ministre péquiste de la Culture a déjà affirmé que les Ontariens n’avaient pas de culture. Comme plusieurs autres œuvres depuis des années, ce livre est la preuve flagrante de son ignorance en la matière. En outre, c’est la claire démonstration que notre culture n’est pas si différente de celle du ROC que le mépris nationaleux veut nous empêcher de voir.


Terres et forêts

Andrew Forbes

Traduction de William S. Messier

Les Éditions de Ta mère

288 pages