ARTS VISUELS: Haro sur la famine culturelle

RÉSONANCES (30 OCTOBRE 2014 17:01), 2015, Impression numérique sur toile, résine acrylique et bois, 27 1/8 x 42 1/8 « , 69 x 107 cm, Ed. 5, Séries: Résonances © Roberto Pellegrinuzzi

Malheureux signe des temps! Sur les six expositions couvertes pour En toutes lettres, une seule a poursuivi son cours sans fléchir! Celle de Chih Chien Wang, à la galerie de Pierre-François Ouellette (PFOAC). Toutes les autres ont été interrompues par un confinement, prolongé jusqu’à on ne sait quand! La palme revient à celle de Geneviève Cadieux dont l’ouverture, prévue pour le 13 mars, a été reportée en septembre et dont la poursuite a été de nouveau suspendue en automne

Ce qui a changé, entre le printemps et l’automne, c’est évidemment que le confinement n’a pas été complet en octobre. On pourrait donc qualifier celui de mars, alors que tout a été fermé sans distinction, comme plus équitable que celui des derniers mois.

Rappelons que les galeries privées, donc à vocation commerciale, peuvent rester ouvertes alors que les autres, centres d’art ou centres subventionnés, ont dû fermer leurs portes. Les unes comme les autres, cependant, représentent le même niveau de dangerosité, puisque c’est plus ou moins le même nombre d’amateurs qui les fréquentent.

On s’interroge donc sur le bien fondé de cette décision! À moins que ce soit le degré de connaissance du milieu qui apparaisse déficient tant chez la ministre de la Culture que chez le Premier ministre, la première devant tout de même informer le second de cette réalité! Et fermement, s’il le faut! Mais le fait-elle? Si oui, est-elle écoutée?

RÉSONANCES (16 JUILLET 2015 10:26), 2015, Impression numérique sur toile, résine acrylique et bois, 27 1/8 x 42 1/8  » 69 x 107 cm, Ed. 5, Séries: Résonances
© Roberto Pellegrinuzzi

Roberto Pellegrinuzzi

Mais passons! Allons plutôt voir du côté d’une grande oubliée dans toute cette folie! Il s’agit de l’exposition d’oeuvres de Roberto Pellegrinuzzi au centre d’exposition du Vieux Presbytère de Saint-Bruno.

Vue d’ensemble de l’exposition Constellations de Roberto Pellegrinuzzi au Centre d’exposition du Vieux Presbytère

D’abord, le centre est assez agréable. Il fait bon de voir des œuvres dans un cadre qui n’est pas celui, devenu traditionnel, du cube blanc. L’occasion est là, en plus, d’aller vers un public en lui proposant des travaux majeurs à contempler. Car l’œuvre de Roberto Pellegrinuzzi en est une à voir à et à revoir.

C’est ce qui arrive ici alors que des œuvres de corpus antérieurs sont présentées de concert. Des Nature morte de 2012 accompagnent ainsi des éléments de Constellation, série de 2011, et des travaux en provenance de la série de 2004, Éléments pour un paysage.

NATURE MORTE (FLEUR MAQUETTE), 2012, Photographie encre carbone sur mylar, 54 x 87 cm, Séries: Nature morte ET CONSTELLATION (FOUGÈRE DAMIER I), 2011, Impression numérique sur papier Mylar, 128 x 102 cm, Ed. 3, Séries: Constellation, © Roberto Pellegrinuzzi

Au deuxième étage, s’ajoutent à cette sélection des pièces issues de Résonances de 2015. Ce dernier ensemble reprend les images présentées dans l’installation Mémoires, elle aussi de 2015.

Elle était composée de 275,000 images, de petites dimensions, épinglées le long de rubans descendant du plafond, formant un nuage compact au sein duquel on peut errer. Les images ont été prises au rythme de 600 par jour, 4200 par semaine sur une durée de 16 mois.

L’idée était de soupeser l’obsolescence des images d’aujourd’hui, prises dans un réflexe du doigt plutôt que dans un effort de création. Le chiffre total est aussi significatif puisque c’est la capacité normale d’un capteur numérique en ces temps de frénésie des images. La forme donnée à l’installation est elle aussi significative, épousant celle du nuage, cette sorte de réserve lointaine, ce presque dépotoir au sein duquel sont oubliées tant d’images.

On comprendra que ce sont les conditions actuelles de prise et de stockage d’images qui intéressent l’artiste. Ce qu’il fait de nos jours diffère peu de ce qu’il faisait auparavant, si ce n’est que c’était avec la photographique argentique qu’il dialoguait alors.

Dialogue

Les autres images le montrent bien et témoignent de ce dialogue commencé vers 1985. On retrouve en ces autres œuvres des composantes et des conditions plastiques de ce type de photo désormais désuète. Des stratégies de construction en appellent donc à ces manières de faire : comme le découpage de certaines images, refaites depuis une mosaïque de petites surfaces imprimées, de la taille qu’ont pu avoir un jour les négatifs.

La superposition de plusieurs feuilles de mylar imprimées crée aussi un effet de flou et de tridimensionnalité. Une sorte d’effet pointilliste de certaines autres semble évoquer le cumul de sels d’argent cristallisés sur la base desquels une image devenait possible.

Ces images ne sont pas nouvelles. Mais, montrées ainsi, à nouveau, dans un lieu qui peut finalement en contenir un nombre suffisant mais quelque peu restreint, sans l’effet massif d’une présentation plus ambitieuse dans le nombre, elles prennent du relief, se détachent mieux les unes des autres. Le passage d’oeuvres explorant les possibilités plastiques de la photo argentique à ces autres qui mettent en scène le numérique est particulièrement heureux.

Vue d’ensemble de l’exposition Constellations de Roberto Pellegrinuzziau Centre d’exposition du Vieux Presbytère

Si la présentation de Mémoires a semblé représenter un  tournant dans l’esthétique de l’artiste, on comprend ici, à la lumière de cette exposition, que ce n’était qu’impression. La démarche de Roberto Pellegrinuzzi, avec tout ce qui l’a composée en 30 ans, est cohérente et les images récentes ne trahissent en rien une quelconque volte-face.

Affaire d’iniquité

Maintenant ne demeure plus qu’une seule et grande question! Cette exposition reprendra-t-elle son cours ? Le centre d’art du Vieux Presbytère de Saint-Bruno pourra-t-il rouvrir ses portes? Ou doit-on continuer de souffrir de famine culturelle ?

Accepter sans broncher que l’on garde fermées certaines galeries pendant que d’autres peuvent rester ouvertes sans que l’on comprenne ce qui les différencie tant les unes des autres, sinon une distinction oiseuse et sans fondement ?


Roberto Pellegrinuzzi, Constellations, Centre d’exposition du Vieux Presbytère, du 8 au 30 septembre à l’origine, mais interrompue depuis et reprise on ne sait quand!