ARTS VISUELS: Dans la tête de Louise Warren

Photo de l’exposition Au nom de la matière. Le musée imaginaire de Louise Warren, photo: Paul Litherland

La poète-essayiste Louise Warren a toujours été fascinée par les arts visuels. Dans les recueils de poésie, les essais et les livres d’artiste, sa pratique d’écriture dialogue constamment avec des œuvres au diapason de sa quête de sensations et d’intensité. Elle a prolongé cette démarche personnelle au sein d’une exposition Au nom de la matière. Le musée imaginaire de Louise Warren, prévue, avant le reconfinement, du 15 août 2020 au 10 janvier 2021 au Musée d’art de Joliette.

L’exposition Au nom de la matière. Le musée imaginaire de Louise Warren a été présentée pendant 10 semaines au Musée d’art de Joliette, ville jusqu’alors en zone orange. Ouvrira-t-elle à nouveau d’ici le 10 janvier? Seul le gouvernement le sait, mais En toutes lettres vous présente, en quelques mots, sons et en images, un compte-rendu d’un véritable mariage d’amour entre les mots et l’art, officié par la poète et essayiste elle-même. Comme si vous y étiez.

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À l’entrée de la salle d’exposition, le texte de l’autrice côtoie une œuvre de John Heward (1934-2018), Sans titre (Abstraction) 1987, composée de rayonne et de serres de métal, peintes à l’acrylique et à l’huile.

Photos de l’exposition Au nom de la matière. Le musée imaginaire de Louise Warren, photo: Paul Litherland (celle-ci et les trois suivantes)

 » John est un grand chamane, dit Louise Warren. Ce geste de déchirer et de raturer est affirmatif et permet de pousser la pensée plus loin. La rature est importante pour moi, elle permet de recommencer et, dans la suite de l’expo, avec une forme fermée celle de Sylvia Safdie. « 

Quatre pièces de l’artiste montréalaise née au Liban et longtemps compagne de John Heward ont été d’ailleurs choisies par la poète. Elles évoquent, pour l’écrivaine, la  » place de tous les possibles « .

 » On cherche tous la justesse, dit-elle. C’est pourquoi j’ai décidé d’exposer aussi des dessins de mon père [Charles-Samuel Warren] et de mes enfants [Hugo et Judith Lamarre]. C’est la matière qu’il me fallait dans l’exposition : le graphite, le fusain, le crayon. « 

La majorité des œuvres figurent dans sa propre collection ou celles de proches. On trouve évidemment aussi des objets-livres dont aime s’entourer l’autrice en plus des œuvres de peintres européens qu’elle affectionne particulièrement : Alexandre Hollan, Krochka et Denise Lioté.

 » Ce sont des gens qui ont exposé ensemble. De les voir se rassembler à l’étranger, alors que Denise est décédée, pour moi c’est très émouvant. Les relire et les relier ensemble. L’un des paris de l’exposition c’était de les faire connaître ici. « 

Pour la commissaire et écrivaine, il importait de présenter la trentaine d’œuvres à la même hauteur,  » sans jugement de valeurs ». « Le dénominateur commun c’est l’affect « , note-t-elle.

Photo de l’exposition Au nom de la matière. Le musée imaginaire de Louise Warren, photo: Mélanie Dion

Beaucoup de toiles montrées au musée rejoignent la démarche de la poète-essayiste dans l’abstraction, la lumière, le flottement. D’autres font davantage dans la figuration, mais tout est relié par la logique de la création, voire celle de l’intimité de l’autrice.

 » Je crois qu’il y a une lecture qui se tient dans l’expo. Par rapport à la maison, le lieu change tout, la hauteur des plafonds, l’éclairage. Puis, il y la voix. J’ai toujours rêvé de n’être qu’une voix, Je trouve ça beau les voix. C’est sensoriel. « 

Julie Armstrong-Boileau lit un extrait du recueil Une pierre sur une pierre de Louise Warren, paru à l’Hexagone en 2006.

Essais

Une grande partie du travail de Louise Warren dans les dernières années a évolué vers l’essai. Des livres d’une limpidité et d’une acuité imparables. Lire Louise Warren c’est apprendre à écrire. L’essayiste sait mettre notre esprit en mouvement.

 » Je ne suis pas pédagogue du tout, mais j’aime prendre soin. Tout le monde a le droit de savoir, d’apprendre et de prendre une approche créative. J’éprouve le besoin de transmettre. Une collection c’est un legs. Je n’avais pas l’idée de présenter « ma » collection, mais d’inviter les gens dans mon monde, dans mes livres par une autre porte. « 

Photo de l’exposition Au nom de la matière. Le musée imaginaire de Louise Warren, photo: Mélanie Dion

Son regard est lucide, attentif, prêt à assumer le monde tel qu’il avance, sans préjugé. C’est ce qu’on retrouve dans son écriture à tout moment.

 » L’exposition permet cette ouverture. Elle finit sur deux pages de livre. Les livres sont mis en évidence partout d’ailleurs. « 

La visite peut d’ailleurs être complétée par ce fort beau livre d’artiste : Au nom de la matière, essai, interventions de Julie Bénédicte Lambert, Joliette, Musée d’art de Joliette, 2019. 

Intensité

Fragilité et vulnérabilité s’exposent ici, sans représenter une faiblesse pour autant. Plutôt la force sage de celle qui a vu, vécu et ressenti. En donnant au langage toute son importance. En accordant aux mots, le moins possible dans le plus petit espace qui soit, leur grande valeur, leur portion d’éternité.

 » Même si ce n’est pas ce qu’on met de l’avant souvent, ça passe par l’intensité tout ça. Ça construit quelque chose. Il n’y a pas d’approche théorique chez moi. En 1984, je voulais écrire de la poésie, je me suis assise et je l’ai fait. Je n’ai jamais arrêté. Je ne sais pas parler de mon travail en théorisant, seulement avec affection. « 

Il en va de même pour les artistes visuel.le.s qui l’intéressent, qui l’inspirent. Quant ils ou elles sont au travail surtout.

 » J’ai appris d’Alexandre Hollan. J’ai appris de Sylvia Safdie. C’est l’une des premières artistes que j’ai vue travailler en atelier. Ça m’a toujours fascinée. « 

Ne nous reste plus qu’à espérer que cette expo lumineuse poursuive son chemin et soit reprise ailleurs. Et pourquoi pas dans des Maisons de la culture?


Animée par André Lamarre, une table ronde a également été organisée par le Musée en septembre dernier. L’événement accueillait les essayistes Kirsty Bell et Marc André Brouillette.