
Robert Morin nous fait son cinéma avec ses Scénarios refusés, recueil publié par Somme toute. Ce ne sont pas des romans ou même des novellas, souligne-t-il, mais leur lecture est néanmoins passionnante. Dans ces trois récits, on retrouve l’imaginaire sans tabous ni préjugés du réalisateur de Yes sir madame!, des personnages tragiques et des descriptions ultra-précises. C’est une démarche tout à fait libre à laquelle s’adonne le cinéaste, une écriture qu’aucune production cinématographique ne pourra altérer. Ces non-films sont d’excellents Morin.
Même s’il écrit pour les écrans – petits ou grands -, Robert Morin éprouve du plaisir à la création de scénarios. Il s’y commet presque à tous les jours. Ceci signifie que des scénarios remplissent ses tiroirs parce qu’il ne se voit pas les transformer en romans.
« Le plaisir d’écrire est là. C’est là qu’on a le plus de liberté. Le film est. à cette étape, parfait, sans entrave ni compromis. Avec le temps, j’ai appris à aimer le genre scénaristique parce qu’on n’est pas dans les descriptions ou les introspections comme dans les romans. Je préfère des romans dépouillés plutôt que l’autofiction. La forme scénaristique s’en approche. J’aime même écrire des choses qui ne seront pas dans le film seulement pour le plaisir d’utiliser cette langue dépouillée. »
Le scénariste aime également retravailler ses textes. Ici, quelques retouches stylistiques ont été apportées en cours de route. Les textes sont si précis qu’on pourrait parler de storyboards écrits pour rester dans le vocabulaire du cinéma.
« Exactement. Je veux que ça se rapproche le plus possible du film que j’imagine. Comme genre littéraire, ce que j’aime dans le scénario c’est qu’il laisse au lecteur plus de latitude imaginative que le roman. »
Écrits dans les années 80, les trois scénarios refusés l’ont été respectivement par les subventionnaires, les producteurs et par lui-même. Le premier, La femme de nulle part, se déroule au Brésil avec un clin d’oeil à Joseph Conrad, le deuxième, L’amour et le pornographe, se voulait une série télé avec Montréal comme toile de fond et le troisième, La grosse maladie, un film d’époque mettant en vedette Jacques Cartier.
Télévision
La galerie de personnages hétéroclites qui interagissent dans L’amour et le pornographe crée une fiction des plus enlevées et originales. Même si l’humour particulier du cinéaste émerge par moments, tout semble aller toujours de mal en pis pour ces personnages tragiques.
« Par définition, un personnage dramatique c’est quelqu’un de bon à qui le mal arrive. Un personnage tragique c’est quelqu’un qui porte son destin, son propre mal. Rambo est un personnage dramatique, mais Hamlet, un tragique. Ce que n’existe presque plus. Pas dans le cinéma américain en tout cas. »
En fait, les caractéristiques des personnages sont aussi éclatées que ce voyage dans l’espace et dans le temps entre les divers scénario. Demeurent la cruauté, la trahison, les échecs de toutes sortes, les préjugés, la médiocrité, le racisme, la violence au rendez-vous comme dans beaucoup d’œuvres de Robert Morin.
« Quand je parle de monstres et de monstruosité, ce n’est pas Dr Jekyll et M. Hyde. C’est plutôt social et politique. Quand je parle de monstres, ce sont souvent parce qu’ils sont affublés des préjugés qu’on a envers eux. Ils sont monstrueux parce qu’on veut qu’ils le soient. Mon travail à moi c’est de démontrer au spectateur que ces montres là sont humains, qu’ils peuvent se métamorphoser et vivre une rédemption. J’ai écrit un scénario récemment et ces thèmes là y sont encore. »
Il continuera de soumettre ses scénarios aux institutions malgré tout. Le cinéaste n’est pas du genre à les retravailler et à les soumettre à nouveau. « Je finis par perdre l’envie de les faire en films. Je me lance dans un autre projet plutôt. »
L’homme à la caméra
Les refus ne l’empêchent pas de tourner non plus. Dans le passé, le réalisateur de Petit Pow ! Pow ! Noël a démontré qu’il peut construire du solide avec trois bouts de ficelles et deux pots de colle.
« Je tourne deux vrais films en ce moment qui ne peuvent pas être faits au théâtre ou ailleurs. L’un d’eux comprend sept paysages que je filme pendant quatre ans. C’est un espèce de thriller contemplatif. Sans voix-off ni personnage, c’est très cinématographiques. Je reviens à la photo aussi en ce moment. «
La pandémie n’a pas changé grand chose à sa vie de campagnard. Le cinéaste vit depuis une dizaine d’années en forêt non loin du réservoir Baskatong au nord de Maniwaki.
Subventions
Publier des scénarios refusés n’est donc ni un signe de découragement ni un pas de plus vers la littérature. En préface du livre, il s’en prend toutefois aux failles d’un système de subventions à modifier, selon lui.
« Les institutions c’est très politique. Ce sont des fonds publics, donc ils marchent constamment sur des œufs. J’ai des reproches, mais dans le fond, je ne sais pas si le système peut changer. Les gens en place suivent les règles dictées d’en haut. L’art cinématographique en tant que tel serait mieux servi si ça fonctionnait autrement. Le Québec aurait un cinéma beaucoup plus diversifié, moins stéréotypé de production en production. »
Les grilles d’analyse à la SODEC, à Téléfilm et à Radio-Canada sont « très prudentes », estime-t-il, ce qui donne un cinéma « guindé » qui n’a rien d’aventurier, d’explorateur ou même de juste audacieux. « Des cinéastes intéressants comme Werner Herzorg, Claire Denis ou Lars Von Trier n’auraient jamais pu faire leurs films s’ils avaient été Québécois. »
Les arts
Avant la photo, Robert Morin avait touché à la peinture. Certaines descriptions se réfèrent d’ailleurs à sa passion pour les arts visuels.
« C’est un de mes rêves. Si je pouvais prendre un an de congé, je le ferais en passant un mois à l’Ermitage (Saint-Pétersbourg), un mois au Prado (Madrid) et un autre au Louvre (Paris).
Ce recueil de scénarios démontre que le réalisateur du Problème d’infiltration n’a rien perdu de son originalité, de ses idées et de sa persévérance. Il continue de soumettre, mais, comme il le dit lui-même en riant: J’ai plus de chances de faire des tomes 2, 3 et 4 de scénarios refusés que de faire une autre vue! »
Sur l’écran ou sur papier, on en redemandera. En photos ? Pourquoi pas. La Cinémathèque en présentera plusieurs l’an prochain d’ailleurs.

Robert Morin
Scénarios refusés
Somme toute, 2021
464 pages